Mort inattendue des nourrissons et déformations crâniennes positionnelles : une même prévention par un couchage et des conseils posturaux adaptés
Hugues Patural, Karine Levieux, Benoit Chevalier
Kiné actualité n° 1562 - 26/03/2020
La Haute autorité de santé (HAS) a publié le 5 mars de nouvelles recommandations pour la prise en charge et la prévention de la plagiocéphalie. Nous avons demandé au Pr Hugues Patural, pédiatre néonatologiste au CHU de Saint-Étienne et chef de projet Conseil national professionnel de pédiatrie, ainsi qu'à Benoît Chevalier, kinésithérapeute spécialisé en pédiatrie, qui ont tous 2 pris part au groupe de travail de la HAS, de rédiger cet article afin de vous les présenter.
Mort inattendue des nourrissons et prévention par le couchage dorsal strict
La mort inattendue du nourrisson (MIN), définie par le décès subit d’un enfant de moins de 1 an jusqu’alors bien portant, représente la première cause de mortalité infantile dans les pays développés, notamment en France où elle touche chaque année environ 300 à 400 bébés (0,4/1 000 naissances).
Au décours d’un bilan étiologique qui se voudra exhaustif, intégrant l’anamnèse, l’examen du lieu de décès, l’examen clinique, les prélèvements biologiques, l’imagerie et l’autopsie [1,2,3], il sera peut-être possible d’attribuer la MIN à une origine infectieuse, génétique, cardiaque, métabolique voire traumatique… Mais les données récentes de l’Observatoire national sur la MIN tendent à confirmer qu’indépendamment de ces explications médico-scientifiques, 1 cas de MIN sur 2 serait accidentel et probablement évitable si les simples mesures de prévention recommandées en termes d’environnement de couchage étaient respectées [4].
Facteurs de risques
La MIN répond souvent à un modèle plurifactoriel de “triple risque” [5] associant :
1. un enfant vulnérable par son histoire (prématuré, petit poids de naissance…) ;
2. une période critique de son développement neurologique, respiratoire et cardiaque (entre la naissance et 4-6 mois) ;
3. une exposition à un ou plusieurs “stress” environnementaux.
Ces 3 facteurs réunis constituent une situation à risque majeure pour l’enfant [6].
Parmi les facteurs environnementaux, le couchage en décubitus ventral ou latéral représente le facteur de risque majeur de MIN [7] par toutes les conséquences qu’il implique :
- Confinement du visage et obstruction mécanique des voies aériennes supérieures ;
- Épuisement progressif du tonus axial qui empêche le bébé de redresser sa tête au risque de s’enfouir dans le matelas ;
- Augmentation de la ré-inhalation du CO2 expiré ;
- Sur un plan anatomique, du fait de la position antérieure des voies aériennes par rapport à l’œsophage, augmentation du risque d’inhalation en cas de régurgitation en décubitus ventral ;
- Limitation de l’autorégulation thermique du bébé.
D’autres facteurs de risque peuvent être surajoutés, dont la présence d’objets dans le lit (couverture, couette, oreiller, doudous, peluches, tour de lit …), un couchage sur un matelas mou ou un canapé [8,9,10], le partage du lit (co-sleeping ou co-dodo, multipliant par 5 le risque de MIN) alors que le partage de la chambre des parents diminuerait le risque de MIN de 50 % en facilitant la surveillance de l’enfant et un repositionnement plus facile dans son lit en cas d’allaitement [11]. Enfin, l’exposition au tabac pendant la grossesse expose le fœtus à une intoxication nicotinique qui altère la différenciation neuronale, modifie l’ultrastructure des récepteurs cholinergiques nicotiniques (nAChRs) du cerveau fœtal et le relargage présynaptique de neuromédiateurs (acétylcholine, dopamine, noradrénaline, sérotonine, GABA et glutamate) à l’origine d’une dysautonomie post-natale et d’une incapacité d’autoressuscitation cardiorespiratoire du bébé.
À retenir
Les consignes de couchage dorsal strict des nourrissons pendant le sommeil et de prévention de la MIN font l’objet d’un consensus scientifique international depuis 2005, ayant abouti à une division par 5 du nombre de MIN, quel que soit le pays dans lequel elles sont appliquées : couchage strictement en décubitus dorsal, dans une turbulette adaptée à leur taille et à la saison, sur un matelas ferme et dans un lit à barreaux sans coussin ni drap, couette, oreiller ou matelas surajouté, cale-bébé, tour de lit ni autres objets (doudous, peluches …) qui puissent recouvrir, étouffer ou confiner l’enfant ; chambre non surchauffée dans laquelle l’air doit circuler, conseil de couchage de l’enfant dans la chambre de ses parents au moins les 6 premiers mois, voire la première année, et bénéfices de l’allaitement maternel au moins les 6 premiers mois.
Déformations crâniennes positionnelles et limitation de la motricité libre
Seuls des gens de mauvaise foi peuvent remettre en cause le bénéfice de la prévention de la MIN par le couchage dorsal et la sécurisation de l’environnement immédiat du bébé. Néanmoins, alors que cette prévention se généralisait, les cliniciens ont vu apparaître une augmentation inquiétante des déformations crâniennes positionnelles (DCP) ou plagiocéphalies. Ces DCP sont des déformations acquises du crâne sans synostose (non abordée ici), secondaires à des facteurs biomécaniques externes de compression ou de traction. Les méta-analyses sur ce sujet s’accordent toutes pour définir la plagiocéphalie comme le premier signe clinique d’un enfant immobile [12]. L’examen clinique seul est habituellement suffisant pour évaluer une DCP et éliminer une craniosynostose. L’observation du sommet de la tête vue de dessus, de la position des oreilles, et des pommettes permet de rechercher les 3 formes typiques de DCP (avec des combinaisons possibles).
- Dans la forme typique de plagiocéphalie positionnelle “fronto-occipitale” (fig. 2), le crâne vu de dessus a une forme de parallélogramme avec aplatissement unilatéral pariéto-occipital, déplacement antérieur de l’oreille homolatérale à l’occiput aplati, bosse homolatérale frontale et proéminence de la pommette homolatérale. De face, la fente palpébrale est plus ouverte du côté de la bosse frontale.
- Dans la forme typique de plagiocéphalie positionnelle “occipitale” (fig. 3), l’aplatissement occipital n’est pas associé à une déformation frontale.
- Enfin en cas de brachycéphalie postérieure (fig. 4), la déformation occipitale est bilatérale et symétrique, avec un élargissement transversal du crâne, voire une compensation du vertex vers le haut.
Figure 2 Plagiocéphalie fronto-occipitale. |
Figure 3 Plagiocéphalie occipitale. |
Figure 4 Brachycéphalie postérieure. |
À retenir
Si la pédiatre hongroise Emmi Pikler (1902-1984), dès le milieu du 20e siècle, avait observé la capacité innée de motricité libre des bébés, leur permettant d’être acteur de leur développement, ce n’est qu’à la fin des années 1990 que nous avons compris que les DCP n’étaient pas liées au seul fait de coucher les bébés sur le dos mais bien au fait de les coucher sur le dos et de les immobiliser, par exemple en utilisant hors des véhicules des dispositifs de retenue (siège-coque…) ou certains matériels de puériculture (cale-tête, cale-bébé, coussin anti-tête plate, cocons, coussin de positionnement, matelas à mémoire de forme, réducteur de lit, transat, balancelle, hamac…). De véritables carcans physiques et sensoriels qui limitent de fait la motricité spontanée du nourrisson par défaut de mobilité propre (côté préférentiel, torticolis, hyperextension, hypotonie) ou par contrainte environnementale externe.
Nécessité d’une évaluation précoce de l’asymétrie crânienne et de la DCP chez le bébé
Les DCP peuvent se constituer très précocement après la naissance. Il est ainsi important d’en évaluer les facteurs de risque dès la naissance : situation obstétricale particulière (oligoamnios, primiparité, grossesse gémellaire, présentation en siège, extraction par voie instrumentale), facteurs liés au défaut de mobilité spontanée du nourrisson (prématurité, syndromes malformatifs, troubles du neuro-développement, déficits sensoriels, ou torticolis musculaire), déséquilibre d’organisation motrice (postures asymétriques, perturbation du réflexe tonique asymétrique du cou (escrimeur), côté préférentiel de la tête, torticolis postural, troubles du tonus axial (hypotonie ou hypertonie).
Les facteurs environnementaux de DCP seront également recherchés : déficit d’interactions entre le nourrisson et les adultes qui s’en occupent (parents et entourage), éveil sensoriel inadapté à l’enfant (fixation permanente visuelle par un mobile ou sonore, etc…), contention physique avec contraintes externes.
Dès la naissance, les sages-femmes, les pédiatres puis tous les professionnels prenant en charge des nourrissons jusqu’à l’âge de 1 an, rechercheront l’asymétrie crânienne et la DCP. À chaque examen, une évaluation de la mobilité cervicale du bébé sera réalisée pour confirmer ou exclure la présence d’un torticolis postural ou congénital. Le torticolis de l’enfant est avant tout un signe clinique et doit être évalué dans des dynamiques actives (alerte sensorielle, motricité libre, capacité à moduler spontanément les postures de tête) et dans des amplitudes passives. Une stimulation sensorielle visuelle, tactile ou auditive permettra de tester la symétrie et l’amplitude de la rotation cervicale active (test de poursuite oculaire par un “œil de bœuf” ou une cible contrastée, test de la chaise (le soignant s’assied sur une chaise et tient l’enfant face aux parents. Tandis que les parents tentent d’intéresser l’enfant, le soignant pivote avec l’enfant sur la chaise d’un quart de tour, d’un côté puis de l’autre, et observe les mouvements spontanés de la tête de l’enfant.
En l’absence de torticolis, le nourrisson doit pouvoir tourner la tête et garder un contact visuel avec son parent).
Un torticolis postural sera défini par une attitude préférentielle en inclinaison latérale céphalique et rotation du côté opposé, intermittente mais sans limitation à la mobilisation passive controlatérale. Un torticolis musculaire congénital sera défini par une attitude permanente de l’enfant en inclinaison latérale céphalique et rotation du côté opposé avec limitation à la mobilisation passive controlatérale.
La recherche de diagnostic différentiel du torticolis est essentielle en cas d’asymétries posturales [13].
Le bilan d’Amiel Tison [14] ou l’Hammersmith Infant Neurological Exam [15] offrent un panel de tests utiles au praticien pour réaliser une évaluation sensori-motrice complète.
Recommandations pour la prise en charge des DCP constituées
En cas de DCP constituée et/ou de torticolis, la Haute autorité de santé (HAS) a souhaité émettre, le 5 mars (lire Ka n°1561 p.6), des recommandations sur les postures et la place de la kinésithérapie comme interventions de choix pour la plupart des nourrissons présentant une DCP associée à un défaut de mobilité cervicale. Les recommandations posturales et positionnelles seront mises en œuvre le plus précocement possible, permettant une amélioration esthétique et fonctionnelle d’autant plus rapide que les mesures appropriées seront mises en place précocement.
Ces recommandations positionnelles, rappelées par la HAS, sont les suivantes :
- Éviter l’appui de la partie aplatie de la tête tout en favorisant la mobilité du nourrisson, dès que la DCP est diagnostiquée ;
- Repositionner le bébé en respectant toujours les mesures de prévention de la MIN ;
- À l’éveil, accompagner (y compris au sol) le nourrisson dans des postures et des explorations sensorielles actives du côté opposé à l’aplatissement, au cours des interactions, par des mobilisations douces et indolores.
Quand intervient le kinésithérapeute ?
La kinésithérapie précoce sera prescrite systématiquement en cas de défaut de mobilité cervicale. Il s’agit d’une recommandation de niveau 1 qui a pour objectif de traiter l’asymétrie posturale de l’enfant [16]. L’efficacité de la rééducation est cependant dépendante de la précocité de la prise en charge.
Une ordonnance type pour une rééducation neuro-motrice d’une asymétrie posturale devra spécifier les éléments suivants : indication médicale, organe cible, localisation, objectifs des soins.
Enfin, des mesures anthropométriques simples sont utiles pour mesurer l’évolution d’une DCP.
Concernant l’ostéopathie, la HAS rappelle que les données scientifiques actuelles ne permettent pas de recommander l’ostéopathie en première intention, mais qu’une approche ostéopathique à orientation pédiatrique peut être associée à la kinésithérapie en deuxième intention, dans le cadre d’une prise en charge pluriprofessionnelle.
En cas d’échec
En cas d’absence d’amélioration de la déformation crânienne après une prise en charge adaptée, une orientation précoce (fin du premier semestre) par le médecin qui suit l’enfant vers un centre de compétences ou de référence des malformations crânio-faciales est recommandée. L’indication d’une orthèse de correction crânienne (qui reste exceptionnelle) ne sera posée que par ces équipes, seules à même d’évaluer la balance bénéfice/risque pour l’enfant (recommandation de niveau 2) [17].
Conclusion
Les consignes de couchage sur le dos strict sans contrainte physique, pour prévenir la MIN, ne sont pas en contradiction avec les conseils de prévention des DCP, qui reposent sur le respect de la motricité libre, sur l’alternance des positionnements de la tête du nourrisson dans son lit mais aussi sur l’utilisation de tapis d’éveil avec des jeux au sol et du portage parental, afin que le champ de vision et les stimuli sensoriels à l’éveil soient élargis.
Coordonnées utiles- Observatoire national des morts inattendues du nourrisson (Omin) : www.chu-nantes.fr/omin- Association Naître et vivre : www.naitre-et-vivre.org |
Par Pr Hugues Patural - Réanimation pédiatrique, Centre de référence Mort inattendue du nourrisson - CHU de Saint-Étienne, Karine Levieux - Urgences pédiatriques, Centre de référence Mort inattendue du nourrisson - Observatoire national des Morts inattendues du nourrisson (OMIN) - CHU de Nantes et Benoît Chevalier -Cabinet de kinésithérapie pédiatrique - Angers.
Bibliographie[1] Haute autorité de santé - Prise en charge en cas de mort inattendue du nourrisson (moins de 2 ans) - Recommandations professionnelles - argumentaire. February 2007. https://www.has-sante.fr/jcms/c_533467/fr/prise-en-charge-en-cas-de-mort-inattendue-du-nourrisson-moins-de-2-ans |
© Daniela Jovanovska-Hristovska/E+
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