Téléconsultation/La Cnam et le Cnom portent plainte contre le site www.arretmaladie.fr
Jean-Pierre Gruest
- 10 janvier 2020
Lancé le 7 janvier, le site www.arretmaladie.fr propose un service de délivrance d'arrêt maladie de 2 à 3 jours maximum pour des pathologies simples et fréquentes (coup de froid, stress, douleurs menstruelles, gastro-entérites…) suite à une téléconsultation avec un médecin. Un concept condamné, notamment pour tromperie, par l'assurance maladie et à l'Ordre des médecins qui ont engagé une action en référé pour que le site cesse ses activités.
Il n'aura pas fallu longtemps pour que le site www.arretmaladie.fr, présenté par son fondateur Can Ansay comme la déclinaison du site allemand au-shein.de, subissent les foudres de l'assurance maladie et de l'Ordre des médecins. Interrogé par Le Parisien, cet avocat de Hambourg revendique la prescription en un an de 30 000 arrêts maladie outre-Rhin pour des pathologies dites du quotidien. "Notre objectif pour la France, en 2020, est de 50000 arrêts de travail car ici les téléconsultations sont remboursées et il devrait y avoir plus de demandes", explique-t-il, affirmant qu'en facilitant l'accès aux arrêts maladie, cela contribuera à réduire le nombre de visites chez le médecin et les arrêts de travail. "La Norvège a autorisé les salariés à s'auto-arrêter pour 2 ou 3 jours, sans justificatif. Cela s'est traduit par une baisse du nombre de jours d'absence au travail pour cause de maladie. Si on y facilite les arrêts, il y en aura moins", avance-t-il.
"Une nécessité devant l'urgence sanitaire" pour les uns
Concrètement, l'internaute utilisant ce service doit choisir parmi plusieurs situations puis remplir un questionnaire de santé (symptômes, antécédents, renseignements médicaux) avant d'être renvoyé vers une plateforme de téléconsultation et/ou recevoir un appel vidéo d'un médecin. Ce dernier décide alors, ou non, de prescrire un arrêt de travail d'une durée maximum de 3 jours, dans la limite de 4 arrêts par an et par patient, qui est déposé sous forme de fichier PDF dans un espace sécurisé. L'internaute le récupère avoir réglé 25 euros. Le site n'acceptant pas encore la carte Vitale, l'utilisateur doit donc avancer l'argent. Si le site affirme que ces prescriptions d'arrêt sont remboursables en théorie, il se contente de rappeler la cadre réglementaire applicable et indique qu'il dépend des "règles habituelles du respect du parcours de soins coordonnés".
Partenaires du site, les Dr Jacques Durand et Loïc Petitprez, responsables de la plateforme de télémédecine DocteurSécu, estiment dans un communiqué que "les arrêts maladies de courte durée de 1 à 3 jours en télémédecine constituent "une nécessité devant l'urgence sanitaire", notamment pour désengorger les urgences et éviter les risques de contamination en période d'épidémie de grippe et de gastro-entérite.
"Des pratiques trompeuses et mercantiles" pour les autres
Des arguments balayés par la Cnam qui très vite a été "alertée sur l'existence de ce site dont la communication promotionnelle semble à la fois mensongère dans son contenu (sur la question du remboursement des consultations) et critiquable dans son principe". Le 7 janvier, elle a indiqué dans un communiqué qu'elle allait "mettre en demeure immédiatement le site de cesser ses activités et engager également, à cette fin, une action en référé". La Caisse "tient à alerter les assurés sur le fait que la prise en charge par l'assurance maladie des téléconsultations appelle le respect d'un certain nombre de conditions qui ne sont pas remplies en cas de recours à ce site". Elle juge également "critiquable de faire la promotion d'un site de consultations médicales en ligne à partir de la promesse de l'obtention facilitée d'un arrêt de travail", soulignant que les arrêts de travail "ne sont pas des produits de consommation, susceptibles d'être distribués sur demande des patients. En ce sens, les modalités de demande et d'obtention d'un arrêt de travail prévues par ce site apparaissent contraires aux recommandations de bonnes pratiques édictées par les autorités compétentes".
Le Cnom a emboîté le pas à la Cnam et annoncé sa volonté d'engager à son tour une action en référé contre ce site et "ses pratiques trompeuses et mercantiles". Dans un communiqué, le Dr Patrick Bouet, son président, estime qu'il porte atteinte à l'image de la profession "en assimilant l'activité médicale à une activité commerciale aux moyens de formules accrocheuses" et suggérer que "toute demande d'arrêt maladie sera satisfaite". Il fustige aussi le fait qu'il présente de manière "mensongère et trompeuse" le dispositif comme remboursable alors qu'il ne remplit pas les conditions définies dans l'avenant 6 à la convention médicale pour que les téléconsultations soient remboursées. Pour le Dr Bouet, "si l'Ordre des médecins se place résolument dans une dynamique d'accompagnement des nouvelles voies offertes par la e-santé, il condamne sans réserve toute velléité d'ubérisation de la médecine !"
Le 9 janvier, Agnès Buzyn a apporté sa caution à la Cnam et au Cnom pour contrer ces sites synonymes de "dérives et de marchandisation de la médecine".
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