Covid-19 : 10 fiches repères pour détecter les soignants en détresse
Alexandra Picard
- 28 mai 2020
Dans la lutte contre la pandémie de Covid-19, les soignants hospitaliers ont été en première ligne. Une implication sans faille qui a laissé des traces physiques et psychologiques. Pour aider ceux qui se sentent en détresse ou commencent à montrer des signes de fragilité, l’association SPS et la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH) se sont associées pour les aider à identifier leur état grâce à 10 fiches repères. Explications.
Ces fiches sont construites sur une même trame, autour de 4 points clés :
- Quels sont les facteurs de risque ?
- Quels signes peuvent alerter ?
- Comment anticiper et prévenir ?
- Qui solliciter pour trouver aide et soutien ?
Elles visent à épauler les soignants qui se trouvent en difficulté après plusieurs semaines en train de batailler contre la pandémie. Chacune des fiches décryptent les principales situations où l’équilibre psychologique et/ou émotionnel a été fragilisé.
Dans un souci de facilité, tout est rassemblé dans un seul et même document : conseils, recommandations, adresses et liens utiles pour prévenir et soulager la détresse psychologique face à des situations de stress inédites rencontrées dans un environnement anxiogène. SPS et la MNH ont répertorié 10 thématiques adaptées à chaque état de fragilité.
Le risque suicidaire
Le risque de dépression sévère et de pensées ou crises suicidaires peut survenir chez de nombreux soignants en raison de cette situation exceptionnelle. Pour prévenir ce risque et aider la personne à surmonter la crise, il faut repérer les signes de détresse manifestée. La crise suicidaire est temporaire et réversible, en l’absence de passage à l’acte.
La fiche invite le soignant à ne pas rester seul, à appeler et se confier à ses proches, à ne pas hésiter à demander de l’aide, en premier lieu à son entourage, qui peut être un recours et un soutien. Il est également recommandé de pas se laisser enfermer dans ses angoisses, son anxiété et sa détresse et de consulter dès que possible un professionnel pour une prise en charge adaptée.
Il ne faut pas hésiter à solliciter la plateforme d'écoute et de soutien de SPS pour être écouté et orienté si besoin.
Les conduites addictives
L’épisode épidémique peut faire augmenter sa consommation de tabac, d’alcool et de substances psychoactives. Avant d’être dépendante, une personne passe par différents stades (usage simple, usage nocif) lors desquels la prévention est efficace. Plusieurs signaux doivent alerter : l’augmentation des quantités de drogues absorbées, la fréquence de consommation, les conséquences sociales ou professionnelles de plus en plus nombreuses (sautes d’humeur, conflits, absentéisme…), les remarques répétées de l’entourage, ou encore le symptôme de manque. Si vous consommez de l’alcool dès le matin, multipliez les occasions de boire, n'arrivez pas à vous arrêter et avez de plus en plus de difficultés à assurer vos journées, il faut solliciter de l’aide.
Les troubles du comportement (alimentation, repli sur soi, agressivité)
Plusieurs signes doivent alerter : la perte d’appétit, qui peut être associée à un amaigrissement (perte de poids rapide et régulière, visible sur le visage, les vêtements qui flottent), une fatigue, des problèmes de sommeil, des troubles de l’humeur. Autre signal : une crise de boulimie. Cela peut être la combinaison d’une ingestion en grande quantité d’aliments dans un temps court, avec le sentiment d’une perte du contrôle alimentaire, qui peut également s’accompagner de comportements compensatoires comme le vomissement, le jeûne, la prise de médicaments. Ces troubles du comportement alimentaire peuvent se traduire par un repli sur soi, un isolement social, une perte d’envie et de plaisir. La personne a du mal à gérer ses émotions, se sent triste, préfère rester seule et ne prend plus plaisir à rien, ou bien ressent de la colère et montre un comportement agressif. Ces troubles du comportement peuvent être les signes d’un épuisement professionnel ou d’une dépression qui nécessitent d’être pris en charge sans attendre.
Le stress et le burn out
Plusieurs facteurs sont susceptibles de déclencher cet état de stress et d’épuisement physique et psychologique : les conditions d’exercice difficiles, la confrontation à l’afflux de patients, la sidération face à la brutalité de la maladie, les craintes de pénuries et de contamination, l’incertitude quant à la durée de la crise. Pour prévenir cet état, la fiche recommande de faire des pauses, de veiller à manger, boire et dormir régulièrement, de communiquer entre collègues, de garder le contact avec ses proches, de surveiller l’éventuelle survenue de signes d’alerte (voir les manifestations du burn out). Elle conseille au soignant de demander de l’aide à un professionnel en cas d’apparition de signaux d’alerte ou de symptômes qui durent.
Faire face au deuil
La confrontation brutale à la mort de ses pairs peut avoir des conséquences psychologiques immédiatement mais aussi à plus long terme. Les circonstances du décès peuvent être vécues brutalement, de manière inattendue, absurde et injuste, parfois traumatisante quand on a assisté à la mort du soignant. Des symptômes sont observés dès les premières heures ou le jour suivant l’événement. Réactions de sidération, agitation, fuite, action automatique qui entraîne la personne en état de choc dans la répétition de gestes automatiques qui échappent à la conscience (réaction de stress dépassé), ou encore le vécu de l’instant traumatique qui revient sans cesse. Durant le 1er mois, l’évolution est très variable : les symptômes vont soit diminuer progressivement, soit persister ou augmenter, soit apparaître tardivement. Plusieurs réactions doivent alerter : une grande détresse, des idées noires ou suicidaires, des troubles du sommeil qui ne s’améliorent pas, une perturbation importante de la vie professionnelle et/ou personnelle.
Insomnie
L’insomnie fragilise la résistance vis-à-vis du stress, elle diminue les performances et l’efficacité au cours de la journée. Ce qui peut mettre soi-même en danger et peut également compromettre sa capacité à soigner les patients. La fiche stipule que prendre plus de 30 minutes pour s’endormir ou passer plus de 30 minutes éveillé au milieu de la nuit, avec une durée de sommeil inférieur à 6h30 par nuit, est un problème d’insomnie. Elle précise également que l’insomnie occasionnelle ou transitoire ne dure que quelques jours. Elle devient chronique lorsqu’elle se manifeste 3 fois par semaine depuis au moins 3 mois. Répétée nuit après nuit, elle peut être un facteur de risque d’accidents de travail. L’insomnie précède souvent une dépression (elle multiplie par 2 le risque dépressif) ou un burn out.
Management : sensibiliser, détecter et prévenir les signes de détresse psychologique
Les troubles psychologiques sont le plus souvent causés par des conditions de travail pénibles, mais aussi par des tâches dont le poids émotionnel et symbolique est difficile à endurer. Dans ce contexte, le management est essentiel pour éviter que la détresse n’atteigne un point de non-retour. D’où l’importance de savoir détecter, prévenir et corriger ces situations délétères. Pour cela, la fiche propose des solutions de management à mettre en place. "L’une des conditions pour se prémunir contre la souffrance au travail est d’éviter la surveillance et la subordination excessive des personnels. Il est nettement préférable de favoriser un degré minimal d’autonomisation au regard des responsabilités de chacun", est-il expliqué. La fiche conseille d’inscrire le soignant dans une démarche collaborative, ce qui implique une prise en compte de ses aspirations et de ses besoins. La fiche insiste également sur l’écoute et le dialogue pour ne jamais laisser l’impression aux personnes en souffrance qu’elles sont délaissées.
Troubles psychopathologiques et stress post-traumatique
Les soignants peuvent être confrontés à plusieurs risques de troubles psychiques comme les troubles anxieux, qui se traduit par des crises de panique, de l’angoisse, une boule au ventre persistante. Cet état anxieux peut être associé à des perturbations émotionnelles et des signes de fatigue, voire d’épuisement physique. Ce peut être aussi des troubles dépressifs. Les soignants se sentent alors épuisés, ils peuvent ressasser les souvenirs négatifs induisant une tristesse, un manque de plaisir, l’impression de ne pas avoir été à la hauteur.
Les premiers signes qui doivent alerter sont les problèmes de sommeil et les troubles de l’appétit. Ils peuvent aussi à l’extrême avoir des idées mortifères et suicidaires. Le stress post-traumatique touche les personnes exposées à des situations très difficiles et qui ont le sentiment d’être en détresse dans l’exercice de leur travail. Elles continuent d’avoir des images, des pensées, des flashs sur les situations qu’elles ont vécues au travail. Elles ont peur de s’y rendre, peuvent manifester des pensées et des émotions négatives, et garder un état d’alerte et d’hypervigilance, même une fois la crise passée.
Prévention : quelles solutions pour prévenir et gérer la détresse psychologique ?
Comment prendre soin de soi pour maintenir sa capacité à prendre soin des autres ? Quels réflexes adopter pour préserver son bien-être ? C'est ce à quoi répond cette fiche repère. Elle explique qu’il faut agir au quotidien et adopter une série de réflexes et d’outils. Tout d’abord, il faut penser à manger, s’hydrater et dormir. Un manque d’hydratation met le cortex en état de stress. Boire de l’eau tempérée ou du thé en quantité suffisante transmet à l’inconscient qu’il n’y a pas de danger et, de fait, concourt à diminuer le stress. Il est aussi précisé que le port continu du masque peut engendrer une sensation d'étouffement. Il faut donc, quand c’est possible le retirer et parler à des collègues, à un psychologue sur une plateforme téléphonique dédiée. Il est nécessaire de s’autoriser des pauses (sans patients et, si possible, sans rapport avec le travail) sans culpabiliser.
Étudiants : affronter la réalité du terrain
Rien n’avait préparé les étudiants en santé venus prêter main forte aux équipes soignantes à ce qu’ils vivent depuis plusieurs semaines. Résultat : ils peuvent voir naître plusieurs manifestations d’ordre émotionnel avec la survenue d’épisode d’anxiété, d’angoisse, de tristesse, d’envie de pleurer, d’irritabilité, ou un sentiment d’impuissance, et de colère… Des symptômes cognitifs peuvent aussi survenir avec des troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentration. Un comportement qui change avec un repli sur soi, un comportement agressif, le besoin de consommer des produits ou des médicaments pour "tenir le coup" sont autant de signaux qui doivent alerter. L’étudiant peut aussi voir sa motivation et son moral baisser, avec le sentiment de ne pas être en mesure de faire face à la situation.
© LukaTDB/Istock/Getty Images Plus