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"Le penseur" et les jeux olympiques

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13 septembre 2016

Votre courrier :

“Le Penseur” d’Auguste Rodin revient de loin puisqu’en 1879 il ornait une porte monumentale. Il se retrouve désormais seul, mais tout de même exposé dans de nombreux sites internationaux.
Il revient de loin, d’autant qu’il quitta “La porte de l’enfer” à laquelle il était destiné. Sortir vivant de l’enfer est une prouesse. Cela préfigure un destin hors du commun.
C’est ce qui arrive à cet homme nu, athlétique, assis, la tête posée sur une main, le coude sur le genou opposé.
Il pense être sorti d’un mauvais pas.
Il se demande ce qu’il va devenir.
Son interrogation le ronge, mais il est difficile d’en connaître la nature. Alors, on se prend à penser pour lui. Regardant le sol, le doute continue d’envahir une partie de son esprit.
Visiblement, l’autre partie s’est résolument tournée vers la culture du corps.
Un corps sans faille, tout en relief de la tête aux pieds, force du buste, une épaule infatigable, un bras replié au bout duquel la main soutient cette lourde tête qui pourrait peser dix fois plus sans pencher davantage tant le support est solide.
Penser assis avec une telle musculature limite les tendinopathies et les myalgies, bien qu’elle ne soit pas faite pour la posture mais pour le mouvement. “Le Penseur” croyait-il divertir son esprit par l’exercice physique ? Pensait-il, après avoir franchi “La porte de l’enfer”, à une résurrection passant par le développement corporel et la recherche de la performance ?
En cette année olympique, les champions de natation, judo, athlétisme, gymnastique, boxe et autres alignent des corps dignes du “penseur”. On se demande ce qui se passe dans la tête de ces compétiteurs tout en muscles ? Ils rêvent de performances, d’optimisation de leur état, de la circulation de l’énergie. On voit même des corps avec de grosses marques rouges dues à la pose de ventouses. Ils sont prêts à tout pour lever les blocages et améliorer les records. Il fallait oser ressusciter les techniques venues d’un autre âge, mais qui néanmoins réussissent une percée contemporaine.
On médit souvent des athlètes dont le volume musculaire l’emporte sur l’expression de la pensée. Mais la concentration est toute intérieure et silencieuse. D’ailleurs, quel journaliste, quel psychiatre ont pu arracher la moindre syllabe à cet athlète assis, immobile, dénudé, le regard tourné vers le sol comme pour interroger les racines de sa condition humaine de penseur... athlétique ?
S’interroge-t-il sur le dépassement de soi, les limites du surpassement, de la perpétuelle performance qui n’a de cesse d’un individu à l’autre, d’une génération à l’autre ? Pourra-t-on aller toujours plus vite, plus haut, plus fort ? Le gymnaste japonais
Kōhei Uchimura, sextuple champion du monde, n’a jamais eu d’amulette porte-bonheur. Il ne croit qu’à l’entraînement. Son but ultime, c’est la beauté du mouvement. De son côté Teddy Riner est un modèle de persévérance. Il commence le judo dès 5 ans, cumule huit titres mondiaux dont le premier à 18 ans à Copacabana, ce même endroit où il devient champion olympique pour la deuxième fois consécutive.
La recherche médicale, la permanence des soins (dans laquelle la masso-kinésithérapie tient une place essentielle), la diététique, la psychologie poussent les limites de l’être humain jusqu’au point de rupture. Cela devient l’enfer. Comment en sortir ? Rodin a su extraire de “la porte de l’enfer” son “Penseur” pour en faire un être unique qui trouve sa place partout dans le monde comme symbole de la pensée… musclée.
Reste que “Le Penseur”, solitaire, athlétique et nu, isolé sur son rocher, ne connaîtra jamais le soutien de toute une foule enflammée par l’exploit accompli, pas plus que l’émotion portée aux larmes par des milliers de téléspectateurs.
N’est-ce pas, Monsieur “Le Penseur”, entre rêve et désillusion, la magie de l’olympisme ?

Bernard Gautier (93)