"Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille"
24 février 2016
Votre courrier :
Non seulement tu n’es pas sage et en plus tu ne te tiens pas tranquille. À longueur de journée tu me colles. Tu ne sais pas ce que tu veux ; tantôt c’est le bas du dos, tantôt c’est le haut, mais ce peut-être aussi le bras, la jambe, l’une, l’autre, parfois c’est tout à la fois. C’est le jour, la nuit. Tu me prends la tête. Je n’en peux plus. Je veux comprendre ce qui se passe. Je suis tombé dans l’escalier il y a longtemps. Rien de grave, quelques égratignures et des douleurs dans le dos qui se réveillaient de temps en temps, mais qui ne m’empêchaient pas de travailler. Et puis, en cascade, un cabinet qui n’est pas accessible, une demande de dérogation refusée, une réclamation d’indus dont je ne parviens pas à me défaire malgré l’envoi des pièces justificatives et par là-dessus quelques difficultés familiales qui font que j’en ai plein le dos.
Qu’est-ce que j’ai fait pour en arriver là ? Et pourquoi moi ? Tiens-toi tranquille, ô ma Douleur et oublie-moi, quelques instants. D’ailleurs, l’autre jour, en voiture, j’ai du piler très vite pour éviter un véhicule qui passait au rouge. Jusqu’à ce que la peur tombe, je ne te sentais plus. Tu devenais sage.
Comment se fait-il que tu disparaisses brusquement ? Quelqu’un t’a chassée ? Où étais-tu passée ? T’es-tu perdue dans les 176 000 km d’axones, les 100 milliards de neurones ou restée coincée dans quelques-unes de mon milliard de synapses ?
Si tu as disparu un moment, tu dois pouvoir disparaître plus longuement. Il faut trouver les bonnes raisons de le faire. Et pour cela comprendre ce qui se passe.
D’où viens-tu, Douleur ? Des tissus ? Non, les chemins que tu empruntes ne sont que des conducteurs. Du cerveau ? Oui car c’est là que toutes les informations se rassemblent, émotions enfouies et présentes, sensations d’hier et d’aujourd’hui, vis-à-vis des proches, de son propre vécu et de l’environnement. Tu te nourris donc de tout cela ? Ça ne paraît pas être une bonne nourriture. Il va falloir changer, te reformuler, reconceptualiser, résumer pour renforcer ton hôte, le cerveau.
Je te sens déjà plus sage et plus tranquille, ô ma Douleur. J’évite ainsi l’escalade médicamenteuse et reprends le pouvoir que j’ai sur moi-même et que j’avais laissé filer sans m’en rendre compte.
Désormais, je lâche prise et “regarde le soleil moribond s’endormir sous une arche… J’entends la douce nuit qui marche”.
Bernard Gautier (93)
Suite au stage “Kinésithérapie et douleur : une vision moderne et ambitieuse pour de nouvelles perspectives”, par Laurent Rousseau. Librement inspiré de “Recueillement”, Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire.