"La priorité est que notre profession soit enfin entendue et respectée à Mayotte"
Jean-Pierre Gruest
10 septembre
Depuis quelques mois, la FFMKR compte un nouveau syndicat départemental : celui de Mayotte, créé fin 2017. Fort d'une dizaine de membres, il est présidé par Antoine Tordeur, 27 ans. Malgré un exercice compliqué et chronophage, il ne ménage pas ses efforts pour renforcer l'attractivité de l'île auprès de ses confrères et défendre la profession vis-à-vis de l'assurance maladie et de l'ARS. Entretien.
Kiné actualité : Qu'est-ce qui vous a incité à vous engager syndicalement ?
Antoine Tordeur : Après avoir débuté en 2015 au centre de traumatologie et réadaptation de Bruxelles, ainsi qu'au service des soins intensifs de l'hôpital Édith Cavell, également à Bruxelles, j'ai eu l'opportunité d'aller à Mayotte. Ayant toujours eu envie de connaître d'autres cultures et façons de vivre, j'ai sauté sur l'occasion sans hésiter. Mais cela ne s'est pas fait sans peine. À mon arrivée, aucune structure ne m'a proposé de l'aide pour faciliter mon installation et j'ai été confronté aux nombreuses difficultés contre lesquelles nous nous battons encore aujourd'hui, en particulier contre la caisse de Sécurité sociale de Mayotte (CSSM), c'est-à-dire la CPAM locale. D'où mon adhésion au syndicat OMK-Mayotte (qui n'existe plus aujourd'hui), avec l'objectif d'améliorer les conditions administratives de mes confrères pour renforcer l'attractivité de l'île, qui souffre d'un important turn-over.
Fin 2017, vous avez créé un nouveau syndicat avec plusieurs jeunes confrères. Pourquoi ?
Fin 2016, l'essoufflement de l'ancien bureau OMK-Mayotte nous incités à reprendre le flambeau. Nous avons alors contacté OMK-Run, syndicat de La Réunion affilié à Objectif Kiné, avec qui le courant n'est pas passé. Alors nous avons sollicité la FFMKR, qui a tout de suite montré un réel intérêt pour notre cause et nous a soutenus en étant présente lorsque nous avons eu besoin d'elle, en particulier d'un point de vue juridique. Malheureusement, nous n’avons pas encore eu le temps de développer davantage nos rapports, une grande partie de notre temps libre étant consacrée au syndicat. Mais nous ne manquerons pas d'y remédier dès que nous y verrons plus clair avec la CSSM.
Comment a été accueilli ce nouveau syndicat ?
Sa création semble être à l'origine de la volonté d'OMK-Run d'étendre son champ d'action de La Réunion à Mayotte, et donc de se présenter à la commission paritaire du 21 juin. Cette division syndicale nous attriste un peu car, au vu du faible nombre de kinésithérapeutes sur l'île, nous aurions eu intérêt à nous unir pour mieux nous faire entendre auprès des instances. Le côté positif est ce que cela a permis de redynamiser la vie syndicale de notre activité à Mayotte, d'autant plus important que la profession traverse une période délicate. Une dizaine de kinésithérapeutes nous ont rejoints à ce jour, ce qui est plutôt motivant si l'on considère le fort roulement que connaît Mayotte, comparativement à la quinzaine de confrères installés durablement.
Combien de kinésithérapeutes exercent à Mayotte actuellement ?
Il est difficile de le savoir précisément en raison de cet important turn-over. À notre connaissance, 55 confrères libéraux travaillent à Mayotte aujourd'hui mais, lors de la commission paritaire, la CSSM en a dénombré 70. Ce chiffre nous a tous surpris, c'est pourquoi nous avons demandé qu'un recomptage soit opéré au plus vite à l'aide du numéro RPPS dont les kinésithérapeutes bénéficient depuis avril 2017. C'est un élément important car ce chiffre pourrait fortement jouer contre nous et l'attractivité du territoire alors que Mayotte est toujours considérée comme une zone très sous-dotée. Cette différence statistique s'explique sans doute du fait que la CSSM prend en considération la succession des personnes reprenant un même poste au cours de l'année comme autant de kinésithérapeutes présents sur l'île ! Or il ne s'agit en réalité que d'un seul poste à un instant T.
Quels sont vos chantiers prioritaires ?
Les relations avec la CSSM sont compliquées, notamment en termes de communication, faute de moyens efficaces. Résultat : il nous faut parfois attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines, pour obtenir des renseignements, avec parfois une réponse ne correspondant pas à la question posée ou qui nous renvoie vers un autre interlocuteur. En créant ce syndicat, nous nous sommes engagés à changer cela, pour que notre profession soit enfin entendue et respectée. C'est pourquoi notre première action a été de mettre en place une commission paritaire afin de pouvoir représenter de manière officielle notre profession, et la défendre, auprès des autorités concernées (ARS, CSSM). Ce qui n'existait pas jusqu'à présent. J'en veux pour preuve le fait que, lors de la grève des salariés de Total en août dernier, toutes les professions médicales et paramédicales figuraient sur la liste prioritaire au ravitaillement en essence… sauf les kinésithérapeutes.
Notre dernier grand combat en date porte sur le problème des dates de conventionnement permettant normalement aux kinésithérapeutes de travailler et facturer leurs séances dans un délai de 3 mois de mise en place administrative pour leur transfert de département. Or la CSSM s’obstine à ne pas vouloir appliquer l’article L-4112-5 du CSP qui, s’il était appliqué dans un esprit de bienveillance (comme c'est le cas dans nombre d’autres départements) règlerait le problème. Imaginez le frein que cela met à l’attractivité de Mayotte pour tout confrère qui souhaite venir s’y établir, avec la nécessité de trouver un logement, acheter une voiture, se vêtir, se nourrir, etc., sans revenu pendant 3 mois ! En dépit de notre insistance sur ce point capital, notre incompréhension reste totale face au manque d’humanité de la CSSM qui, comme lors de la commission paritaire ad hoc du 16 novembre 2017, a clos la discussion en expliquant ne pas être en mesure de "trancher cette question immédiatement", portant la priorité à chercher s’il n’existe pas des éléments qui permettraient de ne pas appliquer ce texte à Mayotte.
Outre ces difficultés, auxquelles vous tentez de remédier, à quoi doit s'attendre un kinésithérapeute qui vient exercer à Mayotte ?
Du point de vue pathologies, nous rencontrons une même variété de prises en charge qu'en métropole. Le problème se situe plutôt au niveau du manque de structures et de moyens mis en place pour opérer ces prises en charge. Nous sommes confrontés à des pathologies en sortie d’hospitalisation que nous ne devrions pas trouver à domicile. Par conséquent, nous nous voyons obligés d'assumer un rôle central de coordination à domicile, et d'assurer la coordination entre l’infirmier et le médecin. Ce qui implique des responsabilités bien supérieures à celles de nos confrères des autres départements. Tout cela parfois dans des conditions de travail difficiles, dans des bangas (petite maison typique de Mayotte) pas toujours salubres, sous une chaleur folle. Certains patients se sentent délaissés. Le corollaire de tout cela, c'est que cela nous confère un poids bien important qu'en métropole, notamment pour changer les mentalités afin que le patient et son entourage comprennent l'importance de s'investir dans sa prise en charge afin de retrouver une meilleure qualité de vie.
Les kinésithérapeutes absents du premier centre de santé de MayotteL'ARS Océan Indien, qui devrait être remplacée pour Mayotte par une ARS dédiée d'ici 2020, a annoncé début septembre l'ouverture du premier centre de santé de l'île à Kawéni, dans la périphérie de Mamoudzou, la capitale. Il est animé par 3 médecins ophtalmologues, un médecin généraliste, un orthoptiste, 3 ORL et un orthophoniste. "Le centre de santé Okania est constitué d'une équipe pluridisciplinaire qui assure une prise en charge améliorée pour les soins relatifs à l'audition et à la vue selon la mise en place d'un planning de consultations médicales périodiques tout au long de l'année", a expliqué l'ARS à l'agence APM News, précisant que ce premier centre serait certainement suivi d'autres. Ainsi, une association de chirurgiens-dentistes pourrait bientôt ouvrir le premier centre de santé dentaire de l'archipel. |