Le 7 janvier, le Dr A. Kapandji nous a quittés. Ironie de l'histoire : il s’appelait lui-même "l’ancêtre" et beaucoup pensaient qu’il n’était plus depuis longtemps.

Parmi les kinésithérapeutes, ostéopathes, chirurgiens, enseignants de sport, la plupart connaissaient ses travaux et ses livres, traduits dans le monde entier. On lui doit la notion d’anatomie du mouvement, la vision biomécanique des choses. Déjà à l'époque, il avait une vision en 3D du corps humain, qu'il a magistralement dessiné.

Dans le cadre du programme vidéo conçu avec la société SNI, nous l’avons entendu et filmé il y a quelques mois à peine, entre autre sur le vieillissement et la mort. Il nous a livré sa conception de la mort : "un sommeil sans rêves". Il était serein, mais savait bien entendu qu’on ne maîtrise pas les modalités du passage vers ce sommeil sans rêve.

Il était alors bien vivant, plein de rêves sur la possibilité d’apprendre et de transmettre encore. Toujours curieux, d’une érudition encyclopédique, passionné d’enseignement, de démonstrations, il partageait ses recherches avec simplicité et enthousiasme. Aucune lassitude, aucune démission. Il était prêt à écrire encore et encore, à partager.

Kapandji, le périnée et moi
Je l’ai connu en 2001, lors d’un congrès en Suisse. Comme j’utilisais dans mes livres ses schémas (avec l'autorisation de l’éditeur, bien sûr), je lui ai offert mon livre Abdominaux, arrêtez le massacre qui venait de sortir. Je ne pensais pas qu’il prendrait la peine de le lire. Il m’a recontacté pour me dire qu’à la lecture de mon livre, il avait réalisé que dans le tome 3 de sa Physiologie articulaire, portant sur le tronc, il avait oublié le périnée ! Il voulait donc le ré-éditer en corrigeant ce manque et me demandait de travailler avec lui, en particulier par rapport à l’accouchement.

Grand amateur de beauté plastique, il aimait particulièrement le dessin du « losange de Michaelis » sur le bassin des femmes (sur le tableau des Trois Grâces entre autres). J’ai pu mettre en évidence pour lui, gommettes et mètre de couturière à l’appui, sur mon propre bassin, que les dimensions se modifiaient en fonction de la position, ce qui l’a enthousiasmé ! Nous avons ainsi bien identifié la différence si importante entre rétroversion du bassin et contre-nutation sacrée, un élément clé de ma méthode, essentiel entre autre pour l’accouchement.

C’est au Dr Kapandji que nous devons les dessins de la contre-nutation sacrée et de la biomécanique du bassin. J’ai ensuite pu mettre en évidence par scanner et IRM les conséquences sur les diamètres des différents détroits.

Notre travail commun a conduit à la présentation du périnée masculin et féminin dans les différentes fonctions : miction, défécation, érection et accouchement.

Dans le livre magnifique et complet Qu’est-ce que la biomécanique, édité chez Sauramps, Kapandji a dessiné pour moi le périnée en fonction de la rotation des fémurs. C’est à partir de ses schémas et de mes hypothèses que l’université de Lyon a produit en 3 D une des animations les plus regardées sur Youtube, « la nutation et la contre-nutation, exemple de l’accouchement » (sans référence à cet ouvrage).

Ce livre présentait déjà les travaux du Dr Guimberteau sur la tenségrité et les fascias, preuve de l’esprit novateur et toujours à l’affut de Kapandji.

Ce n’est pas une bibliothèque qui disparaît avec lui, c’est une mine de savoir et de génie. Mais son œuvre lui survivra. Elle est fondatrice de tout ce que l’imagerie moderne peut aujourd’hui prouver et qu’il avait compris de façon pragmatique par son expérience de chirurgien.

Dors bien, "Kap"… Nous veillerons, grâce à toi, à garder le cap.

© VladislavStarozhilov/Istock/Getty Images Plus