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À mesure que s'efface la mémoire de sa mère, il écrit pour fixer ses souvenirs

Sophie Conrard
- 11 juillet 2019

Alors que sa mère est gravement atteinte de la maladie d'Alzheimer, Éric Badonnel a écrit ce livre pour partager ses souvenirs d'elle. Sur un ton très personnel, il s'interroge sur notre rapport à la parole, la vérité, et nos façons diverses d'exprimer nos sentiments.

Éric Badonnel effectue avec ce livre un travail de mémoire pour sa mère, qui l'a perdue. Il revient sur l'histoire de sa famille, vosgienne des 2 côtés, évoque ses grands-parents, ses oncles et tantes, et bien sûr sa mère, Monique. Ce faisant, il s'interroge sur l'image qu'il garde de chacun : est-elle fidèle à la réalité ? La vérité est-elle unique ? Évidemment non. Dans son avant-propos, l'auteur écrit que "dans notre rapport à la vérité, fait de mémoire et de langage, nous sommes tous malhabiles, empêchés, comme atteints d'une maladie d'Alzheimer. Je ne fais pas exception à la règle. La parole est perdue, peut-être. Mais sa quête nous donne à tous, aimés, aimants, un supplément de vie".

Comme dans toute famille, il y a dans celle-ci des tabous, des non-dits. Il y a des épisodes qu'on ne raconte qu'à demi-mots, notamment lorsqu'elle concerne la Seconde Guerre Mondiale (période où le grand-père Georges s'est pourtant illustré de façon très louable). Mais la grande qualité de ce livre est qu'il raconte beaucoup de choses très personnelles tout en restant pudique. Pas d'étalage indécent, pas de révélations fracassantes ni de règlement de comptes. Loin de là.

Née en 1944 dans une famille ouvrière, Monique a obtenu son certificat d'études. Elle a même été première du canton. Devenue âgée, elle a longtemps joué au bridge pour entretenir sa vivacité d'esprit. Présentée comme une femme fière et indépendante, elle perd peu à peu l'usage de la parole à cause d'Alzheimer. C'est d'autant plus dur à vivre pour l'auteur qu'elle avait fait sienne la devise de l'aviateur René Fonck : "Faire face !" et n'aimait pas "se donner en spectacle".

La malade plonge dans le mutisme
À mesure que la maladie progresse et que sa mémoire s'effrite, "les mots quittent ses phrases", écrit-il élégamment. L'auteur parle de "deuil blanc" : avant même le décès de sa mère, il est contraint de faire le deuil d'elle telle qu'il l'a connue.

Il dit s'être "posé 3 questions : Que savons-nous de ceux que nous aimons ? Que sommes-nous capables de nous en dire ? En quoi ce que nous nous en disons les rend-ils vraiment présents ?".

Ayant accompli toute sa carrière (à ce stade) dans l'univers de la santé, Éric Badonnel en connaît bien le fonctionnement. Sa perception en est évidemment bouleversée à partir du moment où il est concerné à titre personnel. "Ehpad", "hospitalisation à la demande d'un tiers", "unité de vie protégée"… Les mots changent de sens. Rapidement, "la médecine, qui ne pouvait pas grand-chose, dorénavant ne peut plus rien", assène-t-il.

Confronté à cette situation douloureuse, l'auteur évoque le poids de son éducation, qui ne l'aide pas à exprimer ce qu'il ressent. On sent qu'il y a des moments où il faut "faire illusion" et rester digne. On le prend parfois pour un "monstre froid" alors qu'il se présente comme "un passionné, un révolté même, un indigné et un râleur permanent". Autre exemple : "Il faut croire qu'on ne sait pas se parler d'amour dans cette famille ! (…) Il me semble que notre embarras, dans sa radicalité ou dans les proportions qu'il prend, n'a rien d'ordinaire", s'interroge l'auteur.

Chaque lecteur trouvera des points communs entre sa propre histoire et celle de cette famille. Ce livre est très touchant.

Éric Badonnel, Alors que la mémoire s’efface, éd. Le Bord de l’eau, mars 2019.
172 pages – 16 €

L'auteur

Agé de 48 ans, Éric Badonnel est diplômé de Sciences-Po Paris, de l'École nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S) et titulaire d'un DEA en sciences sociales.

Il a commencé sa carrière professionnelle à Bercy, puis rejoint en 2002 la Cnamts (désormais Cnam) pour devenir responsable du pôle "auxiliaires médicaux" à la mission des relations avec les professionnels et établissements de santé, puis sous-directeur en charge notamment de la préparation et de la conduite des négociations conventionnelles.

De 2011 à 2018, il travaille à l'Unocam, où il a préparé et piloté les négociations conventionnelles avec l'assurance maladie et les professionnels de santé libéraux. Sous son impulsion, l'Unocam a signé ses premiers accords conventionnels, notamment avec les pharmaciens d’officine (2012), les chirurgiens-dentistes (2012, 2013, 2018) et les médecins libéraux (2012 et 2013).

Il est aujourd'hui directeur de mission à la direction nationale du Groupe Ugecam (Cnam).

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