Le geste au cœur des discussions lors des Journées nationales de la kinésithérapie salariée
Alexandra Picard
18 décembre 2019
Les Journées nationales de la kinésithérapie salariée (JNKS) 2019, qui se sont tenues à Lyon les 22 et 23 novembre derniers, ont été l’occasion de développer le 2e opus de la trilogie "l’intention, le geste et la trace" initiée l'an passé. Conçues sous forme de séminaires interactifs, elles ont accueilli une quarantaine de congressistes. Compte-rendu.
Il faudra "prochainement un champ de reconnaissance des rééducateurs par des pratiques avancées", selon Pascal Gaillourdet, coordonnateur général des soins aux Hospices Civils de Lyon (HCL) et ancien technicien de laboratoire, qui a ouvert ces JNKS. La première journée a été scindée en 4 parties autour d’un fil rouge : "sociologie, réglementaire et expérientiel". Pour apporter un éclairage philosophique, Anaïs Choulet, qui travaille sur une thèse sur "le toucher dans la relation de soin", a expliqué "le risque d’ambivalence du toucher thérapeutique", qui "peut être vécu comme réconfortant et rassurant, voire curatif", mais peut aussi être ressenti comme "intrusif, voire violent, en l’absence de consentement préalable" du patient. Elle a ensuite interrogé l’auditoire sur un éventuel distingo entre toucher diagnostique et toucher thérapeutique.
Elle a attiré l’attention sur le risque de substitution de "l’identité genre" à "l’identité professionnelle", où la qualité de masseur-kinésithérapeute s’estompe derrière l’homme ou la femme qui agit et touche.
Jean-Pascal Devailly, président du Syfmer, a ensuite orienté les discussions sur la thématique de l’utilité du geste : offre de réadaptation, utilité médico-économique, pointant "l’adoption officielle par le ministère de la Santé du terme réadaptation comme activité générique, à laquelle il préfèrerait "l’émergence d’un modèle des professions alliées". Il a également abordé l’activité, les actes et les gestes de rééducation, et notamment les "principes complexes de leur mise en œuvre, et de leur financement dans un secteur sanitaire et médico-social fracturé depuis les lois de 1970 et 1975".
Le délégué général du CNKS, Yves Cottret, a quant à lui décortiqué "les taxonomies du mouvement, du travail et de l’agir, de l’intérêt et de la reconnaissance". Il s’est réjoui de l'évolution vers plus de "rigueur scientifique" mais a rappelé que "l’utilité sociale d’une profession et de ses métiers se mesure aussi dans le champ de la sociologie, au travers de sa désirabilité et de sa légitimité". En guise de conclusion, il a rappelé "l’impérieuse nécessité de privilégier les gestes utiles, nécessaires et indispensables, pour éviter une éventuelle futilité sociale qui bride la reconnaissance".
L’intelligence artificielle impactera sensiblement 70 % des effectifs hospitaliers
Les discussions se sont poursuivies l’après-midi en se focalisant sur les métiers en devenir, et plus spécifiquement sur les activités et les formations. Danielle Maille, PhD, directrice adjointe de l’IFMK de Saint-Quentin en Yvelines, s’est appuyée sur sa thèse sur "le corps à corps" pour expliquer que "la praxis implique une intelligence de situation, un savoir et une conduite dans un environnement mouvant ; effectuée dans l’intentionnalité et ordonnée à un résultat, elle est au service de la praxie, du mouvement coordonné".
Pierre-Henri Haller, président du CNKS, est revenu sur les défis posés par l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la rééducation. Il a fait remarquer à l’auditoire qu'elle s’insère de plus en plus dans la rééducation en termes d’aide à la décision et d’aide à la rééducation. Sur ce sujet, il engage "les hospitaliers et les cadres rééducateurs à anticiper de façon désormais urgente les bouleversements à venir", rappelant que "85 % des métiers de l’IA n’existent pas encore" et que "la transformation numérique des métiers impactera sensiblement, voire radicalement 70 % des effectifs hospitaliers". Il a insisté sur "l’engagement fort du CNKS sur ce sujet" et appelle "les organisations professionnelles à travailler ensemble pour préparer cet avenir".
Le manager doit interroger sa pratique d’accompagnement des professionnels
La deuxième journée fut inaugurée par Jean-Luc Stanislas, cadre supérieur de santé, ancien infirmier et fondateur de "ManagerSante.com". Il a rappelé le contexte, avec des transformations importantes du monde de la santé, et les défis liés aux offres de soins territoriales. Selon lui, "le manager doit être en permanence en capacité de réinterroger sa pratique d’accompagnement des professionnels dans la déclinaison du champ professionnel ou des démarches transverses", faisant le lien avec la double appétence mentionné dans le livret vert de l’IUPARM.
"Cette poly-compétence s’articule avec la "flexi-mobilité" recherchée par une partie des professionnels et "s’avère être une richesse professionnelle, considérée comme valorisante, d’un travail interprofessionnel qui prend en compte la singularité de chacun", a-t-il expliqué. "L’encadrement de proximité doit être axé sur l’animation des équipes plutôt que sur la course à la productivité des soins au risque de favoriser l’épuisement professionnel."
Puis Brigitte Volta-Paulet est intervenue en tant que "patiente partenaire". Intégrée depuis peu à l’équipe de direction des HCL, elle a exprimé son souhait de "cultiver l’expérience patient et faire équipe avec les patients". En s’appuyant sur son vécu, elle a précisé son rôle : "témoigner de son expérience, participer à la gouvernance ainsi qu’à la recherche des HCL, enseigner en formation initiale et continue, superviser la formation complémentaire des nouveaux patients partenaires désormais inscrits dans l’organisation des soins". Elle souhaite "accompagner les projets des services de soins et développer des actions promouvant le rôle et la place des patients".
Pour les rééducateurs, une voie différente de celle des infirmières
Après un rappel sur les expérimentations de fonctions d’expertises professionnelles et institutionnelles issues des accords Durieux et une présentation de l’état d’avancement des réflexions du CNKS sur l’aide (AK/AR) d’une part, et d’autre part un exposé sur ce que ne devraient pas être et ce que pourraient être les pratiques avancées, les représentants de la Fnek, de l'Ordre et du Syndicat national des directeurs d'IFMK (SNIFMK) ont été invités à s’exprimer sur les réflexions émises sur ces 2 sujets. Tous ont affirmé "ne pas vouloir adopter des modalités de mises en œuvre comme celles adoptées par les infirmières". Ils estiment "nécessaire que cette réflexion soit menée de façon curriculaire, c’est-à-dire en considérant concomitamment les éventuels amont (aide, exercice partiel …) et aval (PA, expertise, spécialisations et diplôme cadre) au diplôme d'Etat que toutes les organisations espèrent voir réellement reconnu au niveau master 2".
Eric Nouveau, ergothérapeute et cadre supérieur de rééducation aux HCL, en duo avec Yves Cottret, qui ponctuait ses propos de modèles, a souligné entre autres "les difficultés de l’interprofessionnalité" et réaffirmé que "les valeurs" et "la formation" sont des « terreaux fertiles » pour la qualité de vie au travail et la qualité des soins.
Anne Pilotti, kinésithérapeute et docteur en sciences de l’éducation, et Pierre-Henri Haller ont cloturé ces 22es JNKS en évoquant le passage du sujet du geste à celui de la trace, préfigurant les 23es JNKS, prévues à Reims les 18 et 19 septembre 2020.