Télésoin : mode d'emploi
Sophie Conrard
- 2 avril 2020
Le télésoin est sur le point d'être déployé pour les masseurs-kinésithérapeutes. On attend d'un jour à l'autre un décret pour officialiser les choses. Pour vous y préparer, voici quelques conseils pour vous organiser. La clé de la réussite, c'est l'anticipation.
Kinésithérapeute à Nîmes, Mathias Willame suit plusieurs de ses patients à distance, depuis le début du confinement (bénévolement, puisqu'il est aujourd'hui impossible de facturer ce type de séances pour les kinésithérapeutes). Il a donc réfléchi à la manière de procéder pour que ces séances soient bénéfiques et pour rationaliser son activité. D'abord, il fixe rendez-vous à ses patients "comme pour une vraie séance au cabinet", et leur demande de lui envoyer en amont leur ordonnance pour des soins de kinésithérapie, ainsi que d'éventuels comptes-rendus médicaux. Il leur explique en amont comment cette séance à distance va se dérouler : par exemple, il leur demande de prévoir une tenue confortable pour pouvoir réaliser des exercices, ou prévient tel patient qu'il aura besoin de voir son épaule. "Je leur pose aussi des questions sur leur pathologie, leur âge, leur métier... Cela me donne beaucoup d'informations sur chaque patient, me permet de préparer le rendez-vous et d’être plus efficace au moment de la séance", insiste-t-il.
Préparer la séance avec le patient
Pour un patient jeune équipé d'un ordinateur et d'une webcam, cela peut paraître facile. Mais pour des patients plus âgés, moins familiers de ces technologies, ou pour ceux qui n'ont pas d'ordinateur, c'est plus délicat. Cela ne s'improvise pas. "Je leur explique s'ils doivent télécharger une application, par exemple Whatsapp, Messenger, Skype ou Zoom – des outils très pratiques parce qu'ils permettent d'envoyer un mail au patient avant la séance. Ils me permettent de faire un partage d’écran pour pouvoir voir les examens du patients et leur montrer les exercices via des tutoriels pré-enregistrés, leur écrire des commentaires pour qu’ils retiennent l’essentiel de la consultation via la messagerie associée", explique le kinésithérapeute nîmois.
Il faut aussi savoir "expliquer aux patients que je ne vais pas pouvoir les recevoir tout de suite au cabinet, et qu'on va démarrer les soins à distance. Ce n'est pas toujours facile. J'ai également des difficultés à trouver des créneaux pour ceux qui télétravaillent : ils réclament tous des rendez-vous le soir !".
Prévoir un cadre, une planification avec une séance en 4 temps pour le bilan
La première téléconsultation se déroule en 4 temps. D'abord, l'interrogatoire, la prise d’informations. "Le premier rendez-vous est forcément plus long (30 à 40 minutes) que ceux de suivis (20 minutes)", précise Mathias Willame. Deuxième temps : "J'observe l'articulation lésée. Il ne faut pas hésiter à demander au patient de se palper pour confirmer une hypothèse ou recueillir des informations sur sa qualité musculaire. On peut demander l'aide du conjoint, par exemple, pour filmer mais aussi pour le diagnostic palpatoire. Vous seriez surpris de voir à quel point ils comprennent vite ce que je leur demande !"
Le troisième temps consiste à faire faire des exercices au patient. "Choisissez des exercices que vous connaissez particulièrement bien, pour vous aider à évaluer d'éventuelles limitations fonctionnelles. Si vos exercices tests sont filmés, vous leur envoyez pour qu’ils les regardent, vous leur expliquez et ils essayent de les reproduire. Cela vous permet aussi de prendre la main, de reprendre aussi votre souffle lors de la séance. On doit suppléer notre toucher par d’autres sens pour optimiser notre BDK ", recommande-t-il.
Enfin, vient le temps de la posologie : "Je leur donne des vidéos pour leur montrer les exercices à faire, avec le nombre de séries, de répétitions, etc. Je fixe le rendez-vous suivant 2 jours plus tard, pour faire le point sur d'éventuelles difficultés ou sur des douleurs qui peuvent apparaître, et le 3e la semaine suivante." Il est "très important de donner des exercices aux gens, et surtout de leur envoyer un support, comme on ne peut pas leur montrer les exercices en vrai". Il en existe plusieurs comme Axomove, Kinexer6... Mathias Willame a développé sa propre chaîne d’exercice viaYoutube. Enseignant à l’IFMK de Montpellier, il a par ailleurs initié une "télé solidaire" avec les étudiants volontaires de l’école (IFMK Montpellier TV), qui ont tourné des vidéos très pédagogiques pour constituer une banque d'exercices pour toutes les parties du corps. "Les patients et les kinésithérapeutes peuvent s'abonner et poser des questions. Les étudiants seront ravis de réaliser de nouvelles vidéos si besoin", précise le kinésithérapeute nîmois.
L'implication du kinésithérapeute
Il est important que le kinésithérapeute se présente dans une tenue adaptée pour renforcer le cadre thérapeutique de la téléconsultation (en blouse, etc.). "Inconsciemment, on rappelle que c’est un vrai rendez-vous – car c'en est un. "Sinon le patient pourrait moins nous prendre au sérieux."
Il n'est pas facile de capter et maintenir l'attention des patients durant une téléconsultation. La plupart n'y sont pas habitués. Cela demande beaucoup d'engagement de la part du kinésithérapeute. "C'est très énergivore, très fatigant, y compris pour les cordes vocales", note Mathias Willame, qui s'est filmé pour s'améliorer. "On ne peut pas utiliser l'instinct avec lequel on travaille habituellement."
Bien entendu, il y a un moment où vous aurez besoin de voir le patient en vrai. Mais ces séances à distance permettent de ne pas l'abandonner à son sort en attendant ce moment. "Dans le contexte actuel, c'est extrêmement rassurant pour certains patients notamment pour les chroniques, les ALD. Une fois passé l'effet de la nouveauté, ils vivent très bien la téléconsultation. Je me suis aperçu qu'ils avaient besoin de parler, de se confier, comme pendant un massage : c’est une autre forme de toucher car on crée aussi un cadre « intime ». Soyez-y préparés... et sachez y mettre fin lorsque la séance est terminée, afin de ne pas prendre du retard pour la suivante !" N'hésitez pas à prévoir 10 à 15 % de temps supplémentaire entre 2 téléconsultations.
Ces séances à distance sont utiles également car "les médecins, rhumatologues, chirurgiens, etc. continuent à nous envoyer des patients comme si le cabinet était ouvert normalement. Nous nous devons d’apporter une réponse. C'est une solution, insuffisante certes, pour remettre en mouvement les patients chroniques", note Mathias Willame.
La téléconsultation "nous permet par ailleurs d'entrer dans la vie des patients, d'observer leur environnement et de s’y adapter d’autant mieux pour ceux qui iront par la suite en domicile, là encore la technologie peut aider par un premier contact". Enfin, en ces temps d'épidémie, "la téléconsultation protège à la fois le patient et le kinésithérapeute des risques de propagation du virus et sera un atout majeur pour un déconfinement progressif, adapté et personnalisé".
Dr Olivier Bredeau, PH au CHU de Nîmes, spécialiste des douleurs chroniques :"Les malades, notamment ceux touchés par les maladies musculosquelettiques (qui représentent 45% des malades chroniques) doivent absolument être accompagnés, encore plus dans ces périodes d’isolement et de stress. Les conséquences sur la santé d’une immobilisation seront aussi importantes que celle de l’arrêt de l’économie sur les entreprises. Les kinésithérapeutes font partie de l’équipe pluridisciplinaire qui accompagne les malades chroniques, et en particulier les plus fragiles. Sauf à penser que cette activité de soin ne sert à rien et que nous pourrions nous en passer sans conséquence pour la santé de nos concitoyens... Au contraire ! Un corps à besoin de tous ses membres et les kinésithérapeutes font partie du corps des soignants." |
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