Aline Langlois «Le droit de prescription est-il sous-utilisé ?»
Sophie Conrard
Kiné actualité n° 1592 - 15/07/2021
Diplômée en juin 2021 après un cursus à l'IFMK d'Amiens, Aline Langlois a réalisé son mémoire de fin d'études sur le droit de prescription afin de savoir si le profil des kinésithérapeutes (âge, sexe, type d'exercice...) influence l'usage qu'ils en font.
Kiné actualité : Qu’est-ce qui vous intéressait en particulier dans ce sujet de recherche ?
Aline Langlois : J’ai choisi ce thème pour 3 raisons : d’abord car je me suis aperçue que la littérature était peu fournie sur ce sujet et que les seules données chiffrées sur le sujet correspondent à 3 mémoires datant d’une dizaine d’années. De plus, au cours de mes stages, les kinésithérapeutes libéraux m’ont confié ne pas être à l’aise avec la prescription. Enfin, j’ai effectué un cursus initial en droit avant une réorientation en masso-kinésithérapie et je voulais réunir mes 2 champs de compétences afin de fournir un travail complet qui clôturerait ma scolarité.
Alors, le profil des kinésithérapeutes a-t-il une influence sur leur usage du droit de prescription ?
Plusieurs caractéristiques sont ressorties chez les kinésithérapeutes libéraux prescripteurs.
Par exemple, 87 % des femmes de l’étude sont des kinésithérapeutes prescripteurs contre 77 % des hommes. La classe d’âge la plus représentée est celle de 30 à 39 ans.
Par ailleurs, si on se réfère aux classes d’âges, parmi les plus jeunes kinésithérapeutes (20 à 29 ans), il y a 77 % de kinésithérapeutes prescripteurs. Parmi les 30-39 ans, 40-49 ans et 50-59 ans, le taux de kinésithérapeutes prescripteurs oscille entre 86 et 88 %. Et parmi les plus âgés (60 à 69 ans), 100 % sont prescripteurs.
Les chiffres montrent que les kinésithérapeutes prescripteurs ont majoritairement obtenu leur diplôme après 2006 (date d’entrée en vigueur du droit de prescription). L’expérience professionnelle joue donc en faveur de la prescription.
Le lieu (urbain, rural) et le mode d’exercice (seul, en groupe) ont peu d’influence sur le recours à la prescription, tout comme la distance avec le médecin le plus proche. Les kinésithérapeutes prescripteurs comme les non prescripteurs exercent en très grande majorité à moins de 5 km d’un médecin généraliste.
Je précise qu’aucune question ne portait sur leur domaine d’activité (patientèle généraliste, kiné du sport, rééducation périnéale…).
Certains produits, s’ils sont prescrits par un médecin, sont remboursés par la Sécu. S’ils sont prescrits par un kinésithérapeutes, ils ne le sont pas. Qu’en pensent les confrères que vous avez interrogés ?
Selon moi, il s’agit d’une des lacunes du droit de prescription, qui reste perfectible aux yeux de beaucoup de professionnels. Ces irrégularités entretiennent une certaine complexité et je cherche ici la logique du législateur. Bien que les kinésithérapeutes interrogés reconnaissent très majoritairement (à 96% pour les kinésithérapeutes prescripteurs, 89 % pour les non prescripteurs) ce nouveau droit comme une avancée pour la profession, ils sont également nombreux à considérer que la LPPR [1] n’est pas claire ni simple à utiliser (40 % des kinésithérapeutes prescripteurs et 63 % des non prescripteurs).
Comment doit évoluer le droit de prescription des kinésithérapeutes ?
Parmi ceux que j’ai interrogés, beaucoup souhaiteraient élargir la LPPR avec notamment la possibilité de prescrire des radiographies, des échographies, des appareils d’électrothérapie, des antalgiques de première classe, des anti-inflammatoires non stéroïdiens, des crèmes anti-inflammatoires locales, des straps, des poches de chaud/froid et des orthèses rigides.
Olivier Véran a annoncé [2] qu’il était favorable à l’élargissement du droit de prescription des kinésithérapeutes à certains examens d’imagerie comme les radios, en petite traumatologie. Par ailleurs, depuis la loi Rist votée le 14 avril, nous avons le droit de prescrire certains AINS et des antalgiques simples (la liste précise sera bientôt fixée). Ces réformes sont favorables au droit de prescription et aux souhaits des professionnels. Elles s’inscrivent dans une volonté d’émancipation de la profession, tout comme l’arrêté du 6 mars 2020, qui prévoit l’accès direct aux kinésithérapeutes en cas de douleur lombaire aiguë inférieure à 4 semaines et de torsion de cheville (à condition d’exercer dans un cadre pluridisciplinaire, à proximité d’un médecin et d’avoir suivi une formation de 10h). Dans ces deux situations, ils sont autorisés à prescrire des antalgiques, des imageries et même un arrêt de travail.
Le droit de prescription reste-t-il sous-utilisé par la profession, selon vous ?
Aux yeux des auteurs des articles datant des années 2000, oui. Mais si on compare aux chiffres les plus récents, on constate une évolution positive du recours à la prescription.
Le taux de kinésithérapeutes prescripteurs était de 44 % en 2008, 62 % en 2013 et 87 % en 2021. Peut-on toujours parler d’une sous-utilisation du droit de prescription ? Les kinésithérapeutes commencent à s’approprier ce droit et la prescription intègre progressivement leurs habitudes. Il est donc logique qu’ils souhaitent modeler ce droit à l’image de leur pratique professionnelle et y apporter des modifications pour prescrire les dispositifs nécessaires.
La LPPR actuelle est-elle trop complexe ?
Parmi les kinésithérapeutes prescripteurs, 60 % considèrent qu’elle est simple et claire à utiliser. Chez les non prescripteurs, 37 % sont également de cet avis. Mais 54 % des prescripteurs et 66 % des non prescripteurs considèrent que la LPPR n’est pas adaptée aux besoins professionnels. Elle a besoin d’une réforme formelle de simplification. Les items sont flous et certains dispositifs médicaux peuvent correspondent à plusieurs catégories. Il faudrait la rendre plus pratique, plus facile d’utilisation.
À titre personnel, ce travail vous a-t-il inspirée ?
Ce mémoire m’a permis de me familiariser avec la prescription, de connaître la liste des dispositifs médicaux, les produits remboursables, les taux de remboursement ou encore les modalités devant figurer sur la prescription. Ces informations me permettront d’améliorer ma pratique professionnelle et d’apporter une meilleure prise en charge aux patients. Les bénéfices seront doubles : pour le patient et pour moi. Si les nécessités de la prise en charge le justifient, je prescrirai à mes patients des dispositifs médicaux.
Vous sentez-vous correctement formée sur le droit de prescription, y compris sur les substituts nicotiniques ?
La majorité des confrères interrogés déplorent un manque de formation et d’information relatives au droit de prescription. 87 % des kinésithérapeutes prescripteurs aimeraient être plus informés et 77 % plus formés. Cette volonté se retrouve également chez les non prescripteurs : 95 % d’entre eux aimeraient être plus informés et 88 % plus formés.
Concernant les substituts nicotiniques, le constat est moins encourageant. Parmi les kinésithérapeutes prescripteurs, seuls 8 % s’estiment compétents pour prescrire des substituts nicotiniques, et 61 % aimeraient être plus formés sur le sujet. Cette tendance se retrouve chez les non prescripteurs puisque seulement 7 % d’entre eux s’estiment compétents pour prescrire des substituts nicotiniques, et 57 % souhaiteraient être plus formés sur ces derniers.
C’est un sujet que je trouve très intéressant et qui mérite quelques heures de formation. Donc si l’occasion se présente, je me formerai à la prescription de substituts nicotiniques.
[1] Liste de produits et prestations remboursables.
[2] Lors d’une visioconférence avec les kinésithérapeutes, le 17 mai. Lire Ka n°1589 p. 8-9 et p. 5 de ce numéro.
© D.R.