Ostéopathie : des mesures nécessaires pour contrôler la démographie et la qualité de la formation
Sophie Conrard (avec APM news)
- 26 mai 2023
L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) vient d'achever une mission sur l'ostéopathie et la chiropraxie. Dans son rapport, elle propose 26 mesures pour lutter contre la démographie qu'elle estime incontrôlée de ces professions et une qualité des formations jugée hétérogène.
Cette mission avait pour pour objectif d'étudier le cadre réglementaire des écoles d'ostéopathie et de chiropraxie, les conditions de délivrance des agréments, les conditions d'exercice ainsi que la cible démographique de ces professions. L'Igas dresse un constat sévère.
Si la loi Kouchner de 2002 et ses décrets d'application de 2007 (pour l'ostéopathie) et 2011 (pour la chiropraxie) ont encadré leur formation et leur pratique, le législateur a choisi de ne pas leur attribuer le statut de professionnel de santé. De ce fait, selon l'Igas, leur cadre de formation et d'exercice est "moins exigeant" pour les écoles et "moins contraignant" pour les professionnels.
L'engouement de la population pour ces thérapies alternatives en accès direct, qui sont de plus en plus prises en charge par les mutuelles, peut expliquer l'explosion du nombre de professionnels en France. On recense 15 000 ostéopathes exclusifs, auxquels il faut ajouter environ 10 000 professionnels de santé (essentiellement des kinésithérapeutes et des médecins) qui pratiquent également l'ostéopathie. La densité moyenne est donc de 42 ostéopathes pour 100 000 habitants, contre 34 aux États-Unis, 8 au Royaume-Uni ou en Allemagne.
C'est trop, si l'on en croit la modestie de leurs revenus, inférieurs au Smic pour la moitié d'entre eux, "avec une paupérisation des jeunes diplômés", observe l'Igas.
Il faut réduire le nombre d'étudiants en ostéopathie
Environ 10 300 étudiants étaient en formation dans 31 écoles d'ostéopathie en 2020, avec une capacité potentielle de 2 300 nouveaux diplômés par an en 2026. "Face à l'augmentation incontrôlée de la démographie et aux difficultés d'insertion professionnelle", la mission recommande donc "une réduction du capacitaire de formation sur les 5 prochaines années", en accord avec les besoins estimés, et l'élaboration d'un atlas démographique fiable.
L'Igas appelle en outre à "garantir la sécurité" des patients avec une information plus fiable sur la formation des ostéopathes, jugeant que "la coexistence de praticiens issus de formations hétérogènes partageant un même titre entretient une confusion". Elle invite aussi à "définir précisément la place de ces pratiques" aux côtés des autres professions de santé et à "envisager une nécessaire évolution de la formation, de son contrôle et une réflexion sur la place de l'ostéopathie et la chiropraxie dans le système de soins français".
Un registre des accidents graves
L'Igas relève l'absence de consensus sur ces pratiques au niveau international, en dépit de travaux qui semblent plaider pour son intérêt dans certaines indications : "L'activité de ces professionnels est encadrée par des référentiels de compétences mais il n'existe aucune étude d'envergure évaluant leur activité réelle. Plusieurs universitaires alertent sur les dangers potentiels de ces activités non contrôlées, d'autant que l'élargissement constaté du périmètre d'exercice de certains ostéopathes et chiropracteurs n'est pas sans conséquence sur la prise en charge des patients." Sur ce point, la mission recommande d'organiser le recueil et de mettre en place un registre des accidents graves consécutifs à des actes d'ostéopathie et de chiropraxie et d'installer une commission nationale "chargée de décrire et d'évaluer les pratiques des ostéopathes et des chiropracteurs".
S'agissant de la formation, la mission considère que la révision de la procédure d'agrément des écoles opérée en 2014, sur la base d'un précédent rapport de l'Igas, et l'élaboration d'un nouveau référentiel activités-compétences-formation en ostéopathie n'ont "pas suffi à asseoir la légitimité" de la Commission consultative nationale d'agrément (CCNA), "ni à durcir les conditions d'agrément" de ces établissements. Elle estime par ailleurs que "la formation dispensée par certaines écoles d'ostéopathie ne répond pas aux critères d'exigence", alors que son coût annuel oscille entre 8 400 et 9 800 euros. "Alors que les écoles d'ostéopathie et de chiropraxie relèvent de l'enseignement supérieur privé, et sont agréées par le ministre de la Santé en application de textes conjoints avec l'Enseignement supérieur, et que l'installation de ces professionnels est soumise à validation des ARS, la procédure actuelle n'est pas en mesure de garantir que ces professionnels soient correctement formés à leur exercice, dans le respect de leur champ de compétence et des connaissances actuelles de la science", souligne le rapport.
Remettre à plat la procédure d'agrément
L'Igas plaide donc pour une remise à plat de la procédure d'agrément, qui repose actuellement sur une décision du ministre de la Santé sur avis de la CCNA intégrant des représentants de la profession. Elle juge prioritaire la mise en place d'un "contrôle des contenus des enseignements dispensés et l'ouverture de son fonctionnement à des regards extérieurs". La mission alerte par ailleurs "sur les dérives possibles au sein de certaines écoles au fonctionnement très internalisé, avec des enseignements doctrinaires, excluant la collaboration avec les autres professionnels".
"Le renforcement de la procédure d'agrément associé à la mise en place d'un examen final comportant des jurés extérieurs est indispensable et doit être engagé sans délai", souligne le rapport. La gestion d'un tel examen "pourrait être confiée à une autorité indépendante et organisée régionalement ou nationalement". La mission préconise par ailleurs la mise en œuvre par les écoles d'une certification indépendante sur la base de critères fixés par la CCNA. À plus long terme et "de manière plus radicale", l'Igas évoque la possibilité de confier, comme au Royaume-Uni, la gestion de la formation et de l'exercice à un organisme ayant délégation de service public.
Enfin, elle suggère d'envisager, sous réserve d'une évaluation de ces pratiques, l'intégration de dispositions spécifiques aux ostéopathes et chiropracteurs dans le livre III du code de la santé publique, aux côtés des assistants dentaires par exemple, afin de réguler ces professions et sécuriser les pratiques : "Sans aucunement transformer les ostéopathes ou les chiropracteurs en professions de santé au sens usuel, sans prise en charge des pratiques par l'assurance maladie obligatoire, l'intégration de ces professionnels dans le code de santé publique [...] présenterait l'avantage de garantir la qualité de la formation en facilitant son adossement à l'université", et permettrait de légitimer l'intervention de certains opérateurs, comme l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam).
L'Igas insiste sur le fait qu'elle a "d'emblée écarté le scénario d'une déréglementation de ces professions qui irait à l'inverse de la tendance internationale et ne pourrait qu'être défavorable aux usagers".
Un rapport qui compte pour du beurre ?
Tous ces problèmes sont connus depuis longtemps. Mais à chaque fois que quelqu'un propose de restreindre le nombre d'écoles ou d'être plus exigeant sur la qualité des formations proposées, l'État finit par redonner tous les agréments suspendus. En 2021, au moment de renouveler l'agrément des écoles d'ostéopathie, la CCNA avait jugé que 9 écoles méritaient de perdre le leur. Dans un premier temps, le ministère de la Santé avait suivi ses recommandations. Mais 3 mois plus tard, machine arrière toute : il a délivré des agréments provisoires d'un an à 8 écoles sur 9… et confié cette mission à l'Igas.
Rappelons aussi qu'en France, si l'exercice est encadré, la liberté de l'enseignement est un principe sacro-saint. Dans ces conditions, pas sûr que ces préconisations de l'Igas soient suivies d'effet !
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