L’hebdomadaire de la profession
pour les kinésithérapeutes

17es Assises de la kinésithérapie :
S'inspirer de l'étranger pour gagner en autonomie

Le Dr Eric Henry, Anthony Demont, David Gorria, François Desmeules et Olivier-Jean Marty.

Alexandra PICARD
Kiné actualité n° 1454 - 07/07/2016

\"Harmonisation internationale de la physiothérapie\", ou comment s'inspirer des modèles internationaux. Ainsi fallait-il entendre le titre de la deuxième table ronde proposée lors des 17es Assises de la kinésithérapie, le 18 juin à Brest [1]. Les débats ont essentiellement tourné autour de l'accès direct et de l'ambition de devenir une profession médicale à compétences définies.

Quitter le nom de “masseur-kinésithérapeute” pour devenir “physiothérapeute”, tel n’était pas le cœur du débat. Si la question a été abordée, tous les intervenants de cette table ronde se sont rapidement entendus sur le fait que cet éventuel changement de nom serait plus symbolique qu’autre chose. “Ce serait peut-être une nouvelle étape dans le développement de la profession en France, mais nous faisons tous partie de la même famille”, a déclaré François Desmeules, physiothérapeute, professeur et chercheur à l’Unité de recherche orthopédique de Montréal. Un sentiment partagé par l’Espagnol David Gorria, secrétaire général de la WCPT-Europe [2].

Une volonté d’autonomie accrue
Rapidement, c’est donc la question de l’accès direct, l’une des clés pour parvenir à l’autonomie de la profession, qui a occupé le cœur des débats. Selon François Desmeules, c’est “loin d’être problématique” dans la plupart des pays : “Au Canada, en Angleterre, en Australie, le physiothérapeute est responsable de son patient. Au Québec, il est la porte d’entrée au début du parcours de soins de ce dernier, lorsqu’il ne s’agit pas d’une pathologie lourde ou complexe. C’est lui qui en réfère au médecin s’il est nécessaire de pratiquer des examens supplémentaires. Le résultat de ce mode de prise en charge, c’est que l’efficacité des soins est supérieure (ou au pire équivalente), alors pourquoi se priver ?” Sans compter “une plus grande satisfaction du patient, un temps d’attente et des coûts réduits”. Même chose pour la prescription d’activité physique adaptée : “Le mieux placé pour le faire, c’est le physiothérapeute !”

Si ce point de vue est partagé par Anthony Demont, MKDE et enseignant en Santé publique à l’université de Montpellier, il émet quelques réserves quant à la transposition des pratiques étrangères en France, du fait des diverses réglementations internationales et surtout des “différences culturelles”. Selon lui, les avancées réalisées dans les pays scandinaves, anglo-saxons et aux États-Unis sont le fruit d’une “culture interprofessionnelle plus développée”.

Des médecins moins favorables
Autre son de cloche du côté des médecins : Éric Henry, président du SML, a d’emblée rappelé que, en France, “depuis la mise en place du médecin traitant en 2005, s’il ne reste plus beaucoup de professions de santé en accès direct, c’est bien pour éviter que le patient fasse n’importe quoi. Pourquoi vouloir aujourd’hui démonter ce modèle ?” Pour lui, le médecin doit rester la “clé de voûte du système de santé”, ce qui n’empêche pas les professionnels de santé de “travailler ensemble et de se parler”.

Il n’a pas hésité à interpeller l’auditoire : “Si utiliser le terme physiothérapie c’est une façon nouvelle de pratiquer la kinésithérapie, soit. Mais si par ce biais on veut mettre en place l’accès direct pour tous, c’est autre chose.” Malgré cela, il a déclaré n’avoir rien contre un élargissement des compétences des masseurs-kinésithérapeutes “mais elles doivent être adaptées aux besoins d’un territoire donné”. Un territoire sur lequel les professionnels de santé doivent définir la manière de travailler ensemble, pour éviter “toute forme de concurrence” entre eux.

Il sera en effet “fondamental de clarifier le champ d’action de chacun”, a insisté Anthony Demont, esquissant une piste : les médecins pourraient abandonner la prise en charge des pathologies musculo-squelettiques aux masseurs-kinésithérapeutes qui, de leur côté, pourraient développer la pratique des diagnostics différentiels afin de transférer, le cas échéant, le patient au médecin. Une approche qui séduit François Desmeules, rappelant qu’au Canada, “les pratiques autonomes se sont développées chez les physiothérapeutes pour pallier la première ligne de soins, qui ne répondait pas à tous les besoins”. Ils ont su “utiliser leurs compétences pour soigner dans les domaines qu’ils maîtrisent bien, tout en continuant à échanger avec leurs partenaires, les médecins”. Un nouveau modèle pertinent pour le patient et qui permet de répondre à la demande lorsque les médecins, en nombre insuffisant, sont dépassés.

L’harmonisation progresse en Europe
“Pas question de nous prendre pour ce que nous ne sommes pas”, a souligné Olivier-Jean Marty, secrétaire général chargé de l’international à la FFMKR. L’objectif est plutôt de “valoriser notre expertise dans le champ ostéo-articulaire auprès des différents acteurs du système de soins, de manière à établir un parcours pertinent pour le patient”. Dans ce cadre, “l’action de la FFMKR au sein de la WCPT-Europe est un levier potentiel. Il y a des choses à puiser dans de nombreux modèles étrangers”. Et du côté français, il est nécessaire de construire des “fondations solides”, avec notamment “la réingénierie des études, un premier pas vers le statut de profession médicale à compétences définies”.

L’harmonisation internationale semble en tout cas sur de bons rails au niveau européen. David Gorria a fait savoir que “fin 2018, la WCPT-Europe disposera d’un cahier des charges sur ce que doit faire un kinésithérapeute dans toute l’Europe”. Un outil qui devrait se révéler fort utile dans un contexte où les frontières se sont effacées, permettant une liberté de circulation des professionnels accrue.

Le point de vue de l’économiste

En ouverture des Assises, l’économiste de la santé Stéphane Billon a livré, avec une dose de cynisme et d’humour, son analyse d’un rapport publié en septembre 2015 par la Cour des comptes, qui stigmatisait en particulier les dépenses en soins de masso-kinésithérapie. “Une vision hémiplégique” de la situation, voici en substance ce qu’il en pense, avançant une série de chiffres nettement moins alarmistes que ceux brandis par les auteurs du rapport.
En 2060, les dépenses en santé ne dépasseront pas 12 % du PIB de la France car, dit-il, “on diagnostique mieux et on soigne mieux”.
Par ailleurs, l’évolution démographique de la profession suit, selon lui, la courbe des besoins de soins de la population. En 2016, il y aura 2 630 installations en libéral et les effectifs augmenteront de 9 % d’ici 2026. Or on compte aujourd’hui dix millions de personnes en ALD. “Les médecins ne pourront pas assumer seuls, d’autant que leurs effectifs diminueront de 30 % dans les cinq ans à venir.” Il est donc important que “les kinésithérapeutes développent leurs compétences et qu’on les aide financièrement”. Voilà qui a plu à l’auditoire.

[1] Compte-rendu de la première table ronde à lire dans le Ka1453 p. 16-17.
[2] Section de la Confédération mondiale pour la physiothérapie (WCPT) qui regroupe les pays membres européens.

© S. Conrard/Kiné actualité

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