"Entreprise ou cabinet ?"
8 mars 2017
Votre courrier :
Grave question : êtes-vous dans un cabinet, à soigner selon votre idéal et votre vocation première ? Ou à la tête d’une entreprise, à vouloir faire du profit jusqu’à plus soif ? (…)
Pour que votre cabinet vive, vous êtes poussé à travailler plus pour gagner… autant. C’est votre nouveau slogan. Vous augmentez les heures de travail. Les 35h sont loin. Votre quotidien, c’est 12h par jour. Vous tenez bon, toujours une demi-heure pour chaque patient. Vous continuez encore à les écouter, à les soigner. Mais peu à peu, la fatigue devient votre plus fidèle compagne.
Et ça ne suffit toujours pas. Les charges continuent à monter, comme la marée sur la plage. Il vous faut encore accélérer le rythme. Pas le choix ! Seulement, pour avoir plus de sous dans l’escarcelle, vous ne pouvez pas vous dédoubler ! (…)
Fini le travail manuel. Fini les massages. Vous vous tournez vers les machines. Les “nouveaux assistants”, c’est comme ça que c’est vendu. Vous pouvez maintenant augmenter la cadence ! Ah pardon, vous avez dit ? “Cadence” ? Rendement ? Travail à la chaîne ? Mais… ça ne ressemblerait pas à l’entreprise, ça ?
"Adieu profession libérale, on t'aimait tant !"
Les patients, vous n’avez plus le temps de les écouter. Le nez dans le guidon, vous soignez, vous soignez. Vous faites suer le mammouth. Vous êtes proche du burn out ! Et les disputes au sein de votre couple sont fréquentes. “Je n’ai pas épousé une ombre”, répète votre épouse. “Mon papa, il n’est jamais là quand on a besoin de lui”, disent vos enfants. Et le cauchemar continue. Le dragon est insatiable. Votre sens des valeurs explose. La dépression vous gagne.
Mais là-haut, on pense à votre bonheur ! Vous l’avez rêvé ? Le président l’a fait : le “tiers payant pour tous” arrive. Le “TPT”. Comment ? Pardon ? Une mesure populiste de plus ? Allez, c’est une chance pour les kinés libéraux ! C’est comme ça que c’est vendu, non ? Ou alors, j’ai mal entendu…
Le progrès social, voyons ! Comment ? Votre nez s’allonge ? Vous doutez ? Vous grimacez ?
Certes, vous ne serez plus payé par le patient, mais par un tiers (Sécurité sociale, mutuelle, ou les deux). Cela dérangerait vos principes de base ? Vous craignez un gros cafouillage ? De fait, vous devenez un “salarié”. (…) Changement d’horizon !
Révolution !
Oui, je sais : “Adieu profession libérale, on t’aimait tant !”
C’est quoi exactement, être “libéral” quand on vous oblige à vous installer là où l’État le veut, mais pas là où vous voulez ? Quand l’inflation avance, mais que l’État bloque les tarifs et qu’en plus, on vous rend coupable du trou de la Sécu ? (…)
Jean Jaurès a dit qu’il fallait “aller du réel à l’idéal”. Moi, je suis passé de mon idéal au monde réel. J’aurais dû écouter mon papa qui ne voulait pas que je fasse ce métier-là !
Patrice Bourdicaud (93)