Couchage du nourrisson, tous responsables !
Diffusez les bons messages
Sophie Conrard
Kiné actualité n° 1510 - 29/11/2017
C'est une question de vie ou de mort. En l'occurrence, ce ne sont pas de vains mots, puisque de mauvaises habitudes de couchage augmentent les risques de mort subite du nourrisson. En tant que kinésithérapeutes, vous êtes parmi les professionnels de santé les mieux placés pour prodiguer des conseils aux parents, particulièrement anxieux lorsqu'ils accueillent leur premier bébé. Il est donc essentiel que vous ayez quelques connaissances sur le sujet.
“Depuis une dizaine d’années, le nombre de morts inattendues du nourrisson stagne dans notre pays. On compte encore 4 à 500 décès par an. Cependant, une étude réalisée par l’Institut national de veille sanitaire de 2007 à 2009 a montré que 100 à 150 de ces décès pourraient être évités chaque année, à condition que parents et professionnels adoptent des conditions de couchage sans risque”, expliquait l’Association nationale des centres de référence de la mort inattendue du nourrisson (ANCReMIN) en septembre dernier, au moment de la Semaine nationale de prévention de la mort inattendue du nourrisson.
Un bébé doit être couché sur le dos…
Une seule chose à retenir : “Un bébé doit être couché sur le dos, et on ne met aucun accessoire (pas d’oreiller, pas de coussin qui lui bloquerait la tête…) dans son lit, de manière à ce qu’il puisse bouger”, affirme le kinésithérapeute Benoît Chevalier, qui pratique exclusivement en pédiatrie. Pour les besoins d’un congrès sur la plagiocéphalie, organisé à Grenoble le 17 novembre dernier par une consœur, il a épluché la littérature mondiale sur le sujet. Il a lu plus de 600 articles pour en retenir 130, qu’il a présentés lors d’une revue de littérature.
Il n’y a aucun doute possible “et il est scandaleux d’entendre des gens dire (comme je l’ai entendu lors de ce congrès) que coucher un bébé sur le côté, ce n’est pas si grave”, insiste ce kinésithérapeute. “Personne n’est capable de remettre en question les milliers d’articles publiés sur le sujet, avec une robustesse méthodologique qui ne puisse être mise en question.” Pour appuyer son propos, il cite un article [1] du PR Hugues Patural, pédiatre réanimateur au CHU de Saint-Étienne, publié en septembre dernier – article “empreint de colère à l’égard des quelques personnes qui n’ont de cesse de remettre en question l’impériosité du couchage dorsal strict des nourrissons, prôné depuis plus de 20 ans par tous les professionnels de santé avertis et les médecins responsables des centres de référence de la mort inattendue du nourrisson”, précise le préambule.
… et rester libre de ses mouvements
Coucher un enfant sur le dos n’entraîne pas de plagiocéphalie, à condition de le laisser libre de ses mouvements. Si vous lui coincez la tête avec un coussin ou qu’il se retrouve bloqué par un matelas trop mou, en effet, il ne pourra pas bouger et sera susceptible de développer une plagiocéphalie.
“La plagiocéphalie est une sonnette d’alarme : c’est le signe que l’enfant ne bouge pas assez. Sans doute est-il trop souvent placé dans un transat, calé avec un des coussins, etc. C’est une erreur ! Il est avéré que chaque heure passée dans un dispositif d’installation (transat, cocon, balancelle…) multiplie par 2 les risques de développer une plagiocéphalie !”
La journée, l’enfant doit également être laissé libre de ses mouvements : il faut conseiller aux parents de le poser sur un tapis (“pas trop mou et sans arche, pour faciliter les rotations de son cou”, insiste Benoît Chevalier), et il ne faut pas avoir peur de le faire dès sa naissance. “La position de l’enfant pendant son sommeil est le reflet de sa motricité lorsqu’il est éveillé : s’il bouge bien durant la journée, il bougera bien en dormant, en particulier pendant les périodes d’éveil actif. Si on limite ses mouvements la journée, il restera immobile pendant son sommeil”, précise-t-il. “Le temps d’éveil passé sur le ventre est essentiel. Les campagnes sur le tummy time préconisent 20 à 30 minutes par jour de procubitus en période d’éveil, de manière continue ou discontinue. Accompagner la motricité du tout petit est un rôle essentiel de ceux qui prennent soin de lui. C’est à travers le portage dans les bras, les interactions sensorielles et motrices, mais aussi dans le lien avec les parents et l’environnement que l’enfant devient à l’aise rapidement dans sa motricité. Le moment du change, par exemple, est un temps extraordinaire où il pourra explorer sur les 4 faces des sensations, des changements de positions.”
Pour apporter de l’eau à son moulin, Benoît Chevalier mène actuellement un projet de recherche visant à objectiver l’impact des facteurs environnementaux de la plagiocéphalie, à l’aide d’un logiciel de motion capture, en comparant l’activité sensorimotrice des enfants en motricité spontanée au sol sur un tapis et leur motricité dans les dispositifs d’installation qu’on trouve couramment dans le commerce.
Miser sur la prévention auprès des parents
Comment lutter contre ces mauvaises habitudes d’installation ? Pour prévenir la plagiocéphalie, “la meilleure stratégie, dans toutes les recommandations internationales, est de prodiguer aux parents des conseils de positionnement, associée à une physiothérapie précoce [2]. Le DR Ariane Cavalier a montré en 2011 [3] que 15 minutes de prévention spécifique sur la prévention de la plagiocéphalie auprès des mères, à la sortie de la maternité, divisait les risques par 3. Ça vaudrait le coup de le mettre en place !”, propose Benoît Chevalier, qui cite pour exemple les Pays-Bas, où cela existe et où le taux de plagiocéphalie est seulement de 3 % quand les parents suivent les programmes d’accompagnement au développement et au positionnement. “De la même manière que les femmes ont droit à des séances de rééducation périnéale, les parents devraient avoir droit à 2 ou 3 séances avec un kinésithérapeute spécialisé en pédiatrie qui leur donnerait des conseils.”
[1] H. Patural, I. Harrewijn, A. Cavalier, K. Levieux, C. Farges, C. Gras, B. Kugener, A-P., Michard-Lenoir, E. Briand-Huchet, J-C. Picaud, Association nationale des centres référents pour la mort inattendue du nourrisson (ANCReMIN), Désinformation concernant le couchage des nourrissons et la plagiocéphalie, Archives de pédiatrie, vol. 4, issue 11, novembre 2017.
[2] L.C. Baird, P. JR Klimo, A.M. Flannery, D.F. Bauer, A. Beier, S. Durham, A.Y. Lin, C. McClung-Smith, L. Mitchell, D. Nikas, M.S. Tamber, R. Tyagi, C. Mazzola, Congress of Neurological Surgeons, Systematic Review and Evidence-Based Guideline for the Management of Patients With Positional Plagiocephaly: The Role of Physical Therapy, Neurosurgery, novembre 2016.
[3] A. Cavalier, M.C. Picot, C. Artiaga, E. Mazurier, M.O. Amilhau, E. Froye, G. Captier, J.C. Picaud, Prevention of deformational plagiocephaly in neonates, in Early Human Development, Elsevier, 2011.
© NataliaDeriabina/iStock / Getty Images Plus