Mathias Willame :
«Avec ces patients, le toucher est notre atout majeur»
Sophie Conrard
Kiné actualité n° 1528 - 27/09/2018
L'INK organise le 27 octobre à Paris, dans le cadre du salon Rééduca, un congrès sur la prise en charge interprofessionnelle du patient obèse, dans laquelle le kinésithérapeute joue un rôle central. Explications avec Mathias Willame, qui a conçu le programme de la journée.
Kiné actualité : En quoi l’obésité est-elle une pathologie globale, qui nécessite donc une prise en charge globale et pluridisciplinaire ?
Mathias Willame : D’abord, on est gros des pieds à la tête. Toutes les articulations, tous les membres, les systèmes digestif, respiratoire… sont touchés, le corps dans sa globalité. Par ailleurs, les patients arrivent toujours en m’expliquant qu’ils sont devenus obèses à cause de quelque chose : un traumatisme par exemple. L’intervention d’un autre professionnel (souvent un psychologue, un diététicien) semble nécessaire. De plus, cette maladie a de nombreuses comorbidités, qu’il faudra évaluer ensemble. D’où l’importance du bilan kiné APA, qui renforce celui des autres professionnels. En 2004 (ces recommandations datent un peu), l’OMS a dit que la prise en charge de l’obésité associait sport et alimentation, ce qui implique au moins 2 professionnels de santé. En réalité, c’est souvent plus.
Quels sont les principaux impacts de cette maladie sur l’organisme ?
L’impact est triple : métabolique (sur le système respiratoire, digestif, la circulation), fonctionnel (les articulations) et motivationnel. Le système hormonal et le système nerveux central (SNC) sont brouillés, les zones du plaisir atrophiées. Le malade continue à manger de plus en plus pour ressentir la satiété. Il bouge de moins en moins. C’est un cercle vicieux, décrit dans de nombreuses pathologies chroniques comme la lombalgie.
Qu’est-ce qui rend la prise en charge de l’obésité si complexe ?
Il s’agit d’atteindre un équilibre de tous les paramètres et de réussir à les faire évoluer ensemble, en même temps. Sinon tout va de travers et la progression du patient sera bloquée. On peut choisir telle ou telle porte d’entrée pour démarrer, mais il est impossible de se concentrer sur une seule composante de la maladie. Aucun professionnel n’est capable de tout gérer. Il faudra se coordonner avec les autres et dans cette mission, les kinésithérapeutes, par leurs expertises, ont beaucoup à offrir.
Un autre élément important que le patient et le staff doivent intégrer : l’obésité est une maladie chronique, que le patient devra gérer toute sa vie, avec des hauts et des bas.
Quels professionnels de santé sont amenés à intervenir auprès d’un patient obèse ?
Dans un projet d’une chirurgie bariatrique, le patient rencontre (au moins) son médecin généraliste, un psychologue ou psychiatre, un endocrinologue, un nutritionniste et un chirurgien bariatrique. Je pense qu’il manque l’évaluation musculo-squelettique, que nous pouvons réaliser.
Si la chirurgie n’est pas nécessaire, il est souvent proposé au patient un suivi par un gastro-entérologue, un kinésithérapeute, un nutritionniste et un psychologue, mais leur continuité dans les soins est peu mise en place.
On pense trop peu à consulter un médecin de la douleur, or l’obésité est une Souffrance, avec un S majuscule. Interviendront aussi un chirurgien plasticien (pour construire ou reconstruire après une perte de poids importante), un podologue (il aura peut-être besoin de semelles, ou tout simplement qu’on lui coupe les ongles parce qu’il ne peut pas le faire lui-même), un urologue (beaucoup sont incontinents) … Parmi les non professionnels de santé, le patient est souvent pris en charge par un professeur d’activité physique, une diététicienne, etc.
Je voudrais insister par ailleurs sur l’importance des secrétariats : il faut impérativement accueillir correctement ces patients (par exemple ne pas leur proposer de s’asseoir sur un canapé mou dont ils ne parviendront pas à se relever !), ce qui nécessite peut-être une formation ou une sensibilisation des personnels.
Le kinésithérapeute doit, lui aussi, anticiper : disposer de matériel adapté, ou être capable d’aiguiller le patient vers un confrère qui en a – et surtout, ne pas lui dire Je ne peux pas vous prendre en charge parce que je n’ai pas de matériel adapté ! Le cerveau est un muscle très fragile et le patient risque de ne plus oser pousser la porte d’aucun cabinet de kinésithérapie.
Comment tisser des rapports de confiance les uns avec les autres afin de travailler en bonne intelligence, dans l’intérêt du patient ?
La première chose est de se connaître soi-même et de savoir ce qu’on sait faire ou pas. Une fois qu’on le sait, on peut aller se présenter aux autres et échanger avec eux. Il faut avoir envie d’apprendre de l’autre, qui a lui aussi des compétences. Je crois qu’il est nécessaire d’avoir une culture générale sur ce que font les différents interlocuteurs qui vont prendre en charge le patient obèse, de façon à savoir ce qu’on peut attendre d’eux. C’est dans cet esprit que nous avons organisé la journée de congrès du 27 octobre. L’objectif est que chacun apprenne de l’autre en valorisant les expertises de chacun.
Le danger, c’est la contiguïté, que chacun travaille de son côté. Il faut de la continuité entre nos actions.
Aujourd’hui, la prise en charge des patients obèses en France est-elle bien fléchée ?
Existe-t-il un parcours clair et institutionnalisé ?
Je ne crois pas. Il existe des initiatives locales très intéressantes, qui fonctionnent bien, mais j’ai le sentiment que peu de gens s’intéressent aux éléments structurels de l’obésité. Trop peu de professionnels, de santé ou non, ont pris conscience qu’il n’y a pas une mais des obésités, d’où l’importance de la continuité de nos pratiques. Cette maladie a un côté unique et individuel mais ne peut pas être gérer en mono-praticien.
Quand vous avez commencé à prendre en charge des patients obèses à votre cabinet, comment avez-vous conçu leur parcours de soins ?
Cela a bien évolué. Au début, je me sentais très fort : j’avais un beau cabinet, de quoi faire pratiquer des APA sur place, ma propre histoire d’ancien obèse… Et un jour, j’ai eu une mauvaise expérience avec une patiente qui m’a dit qu’elle voulait en finir.
J’ai appelé au secours : 3 médecins m’ont alors aidé et on a créé rapidement “Nîmes Obésité”, une équipe pluridisciplinaire (avec un chirurgien bariatrique, un médecin nutritionniste, un gastro-entérologue, un préparateur physique et moi-même) qui n’existe plus aujourd’hui mais préfigurait la manière dont nous travaillons aujourd’hui. J’ai réalisé que je n’avais rien compris à cette maladie. Certains patients ont une souffrance immense dont le traitement ne se résume pas à “bougez plus et mangez moins”.
Suite à cela, j’ai tout remis à plat. J’ai ajouté les avis des patients à mes réflexions. Pour pouvoir leur donner une réponse, la première chose est de les écouter et les entendre. J’ai compris qu’il est essentiel d’évaluer (dans notre bilan par exemple) la Souffrance et les douleurs, car tout ceci a un impact sur le SNC, qui est la “réserve de motivation”.
Vous écrivez sur le programme de cette journée que le kinésithérapeute “contribue à la mise en place d’un projet interdisciplinaire autour du patient” : peut-on considérer qu’il est le pilote du projet ?
Le médecin est le patron, et le kinésithérapeute le chef de projet ! Chacun son expertise. Le médecin a besoin des autres professionnels et réciproquement. J’ajouterais que le kinésithérapeute est sans doute le professionnel que le patient voit le plus.
On sait aujourd’hui que le mouvement est fondamental, à la fois pour la partie métabolique et pour la part émotionnelle de la maladie. Donc le kinésithérapeute est incontournable auprès du patient, tant pour lui permettre de se mettre en mouvement que pour le suivre et l’accompagner dans son projet.
En vertu de quoi est-il capable d’assumer ce rôle ? Quels sont ses atouts ?
Peu de professionnels ont connaissance de l’ensemble de nos compétences. Le kinésithérapeute a les qualités nécessaires pour optimiser la régulation d’une prise en charge APA/santé, surveiller l’évolution de plusieurs paramètres physiologiques de l’obésité et échanger avec l’ensemble des interlocuteurs concernés. D’où l’importance de prendre le temps d’expliquer ce que nous faisons. Savoir faire, c’est bien, mais il faut aussi le faire savoir !
Du point de vue du patient, nous sommes très disponibles par rapport à des spécialistes chez qui il faut attendre des mois avant d’obtenir un rendez-vous. Or ces patients ont besoin d’avoir quelqu’un d’accessible, auprès de qui ils peuvent “se réfugier”. Par ailleurs, nous sommes capables de les toucher rapidement, au sens littéral comme figuré, et nous savons leur faire passer des messages, de façon explicite ou subliminale.
Permettez-moi d’insister sur le toucher, car celui-ci est fondamental. C’est notre atout majeur (auquel il faut ajouter nos compétences biomécaniques, paramédicales, etc.) et personne d’autre ne le possède. Ainsi lors du congrès, nous insisterons sur un carrefour crucial que constitue la charnière thoraco-lombaire, responsable de la posture, la mobilité du tronc, où on trouve l’insertion du fascia lié au tube digestif et celui du diaphragme… et qui peut être facilement évaluée par le toucher. La mobilité de cette zone est inversement proportionnelle à la ptôse abdominale ou/et aux douleurs viscérales. Le kinésithérapeute est en capacité d’évaluer le patient de façon bienveillante, par son toucher (par les mains, la parole ou le regard porté sur un corps souvent sans vêtement).
Que diriez-vous à vos confrères pour les inciter à venir à cette journée de congrès ?
Nous sommes face à un nouvel enjeu de santé publique : lutter contre la sédentarité et ses effets.
Le “médicament” à conseiller au patient : modifier son comportement en termes d’activités physiques. 85 000 kinésithérapeutes sur le territoire ont un rôle majeur à jouer. Pour cela, il nous faut mettre en avant nos compétences, les faire connaître, et nous pourrions être les clés de voûte de staffs interdisciplinaires autour du “bouger bien”.
Sachez que tous les intervenants recrutés pour cette journée sont passionnés par l’interdisciplinarité et motivés à l’idée de partager et renforcer un réseau. Ils tentent de la pratiquer au quotidien. Mon souhait serait que chacun reparte avec des numéros de téléphone et des adresses pour pouvoir poursuivre les échanges et s’entraider, afin de mieux prendre en charge les patients.
Enfin, je dirais que c’est l’occasion de rencontrer une femme exceptionnelle, qui a perdu près de 200 kilos et qui a le souci de répondre à toutes nos interrogations. Elle sera la modératrice de cette journée, non pour faire pleurer dans les chaumières mais pour aider les professionnels de santé à ne pas avoir peur. C’est extrêmement important pour que les patients se sentent bien au sein de nos cabinets.
En pratiqueLe 27 octobre à Paris Congrès de l’INK Thème : “Prise en charge interprofessionnelle du patient obèse : une nécessité de santé publique” Rens. et inscription : INK |
© D.R.