L’hebdomadaire de la profession
pour les kinésithérapeutes

Patients lombalgiques :
Le rôle majeur d'une kinésithérapie moderne dans leur parcours de soins

Sophie Taillefer, Flavio Bonnet, Jean-Philippe Deneuville, Laurent Rousseau
Kiné actualité n° 1477 - 16/02/2017

Il y a quelque temps, nous avions ouvert une discussion autour d'un rapport de la Caisse nationale d'assurance maladie, avec un article publié dans le Ka n°1459 du 29 septembre 2016. Plusieurs éléments surprenants du rapport avaient entraîné un certain scepticisme chez les auteurs de cet article, par exemple "l'inutilité de la kinésithérapie chez les patients lombalgiques avant quatre semaines". Pour approfondir cette discussion et permettre une réflexion critique aux lecteurs de Ka, nous poursuivons notre série d'articles sur la lombalgie aiguë et la kinésithérapie. Après l'analyse du rapport en question (Ka n°1468), nous vous proposons aujourd'hui un tour d'horizon de la recherche sur les lombalgies aiguës.

La lombalgie commune est un problème de santé publique majeur en France. Avec une prévalence de plus de 60 % chez les salariés, elle est la cause principale d’arrêt de travail. Chaque année, plus de 3 000 lombo-sciatiques sont reconnues en maladie professionnelle. La durée moyenne des arrêts de ces maladies professionnelles est de 360 jours et leur coût moyen de 44 000 s. Chaque année, plus de huit millions de journées de travail sont perdues à cause des accidents du travail et maladies professionnelles liés aux lombalgies [1].

Qu’est-ce qu’une lombalgie ?
La lombalgie est définie comme une douleur dans la région lombaire, comprise entre la douzième côte et le pli fessier [17]. Les douleurs peuvent s’accompagner de douleur projetée dans les membres inférieurs. C’est un symptôme qui peut émaner de nombreuses sources anatomiques possibles [13, 14 ,15]. La lombalgie est généralement décrite par sa durée. Elle est considérée comme “aiguë” entre J0 et J+6 semaines, “sub-aiguë” de six semaines à trois mois et “chronique” ou “persistante” si elle dure plus de trois mois [16].

Les études concernant l’évolution naturelle des lombalgies nous indiquent que la plupart des lombalgies aiguës régressent très rapidement après l’apparition des symptômes.

Si la majorité des lombalgies aiguës évoluent bien, qu’est-ce qui pose problème ?

Les deux problèmes majeurs liés à la lombalgie sont :

1) La récidive des symptômes (lombalgie récurrente) ;
2) La persistance des symptômes (lombalgie chronique).

L’étude de Pengel et al. (2003) [2] montre que 73 % des patients lombalgiques ont au moins une récidive dans les douze mois qui suivent. Par ailleurs, les lombalgies chroniques représentent la première cause d’inaptitude médicale chez les salariés de moins de 45 ans. Les arrêts de travail et le handicap consécutifs aux lombalgies sont les principales raisons des coûts économiques et sociaux qu’elles génèrent. Dans certains pays, l’évaluation de ces coûts est proche de 1 % du PIB [1].

La France n’échappe pas à la règle. Un article du Parisien du 16 janvier 2016 [3] rapporte que la lombalgie a un coût total de l’ordre d’un milliard d’euros. Et “la moitié des arrêts maladie pour cause de douleurs au dos sont inférieurs à deux semaines, mais ce sont des arrêts répétitifs”, et justifient un programme de prévention.

Comment les kinésithérapeutes peuvent-ils prévenir la récidive, limiter la chronicité et ainsi jouer un rôle majeur dans le parcours de soin des patients lombalgique ?

L’étape capitale du Bilan Diagnostic Kinésithérapique (BDK)
Lorsqu’un patient présente une lombalgie il convient en premier lieu d’écarter toute pathologie grave. Ainsi dès l’interrogatoire, les médecins ou les kinésithérapeutes peuvent identifier les signes et symptômes qui pourraient évoquer la présence d’une pathologie grave à l’origine de la lombalgie. Ces signes sont communément appelés les drapeaux rouges : traumatisme significatif, perte de poids de façon inexpliquée, fièvre, douleur nocturne non mécanique, antécédent de cancer etc.

La prévalence des pathologies graves en accès direct est extrêmement faible (0,9 %) et concerne dans 72 % des cas des fractures vertébrales (Henschke 2009) [4].

Une fois les pathologies graves écartées grâce à l’absence de drapeaux rouges, il est particulièrement intéressant de rechercher la présence éventuelle de :

- Drapeaux jaunes (facteurs psychosociaux): croyances erronées, peur du mouvement et/ou hypervigilance, problèmes émotionnels (dépression, anxiété ou inquiétude), recherche d’un traitement passif, etc ;
- Drapeaux bleus (facteurs économiques et sociaux) : peur que le travail aggrave la douleur, peur du manque de soutien de l’employeur ou des collègues de travail, problèmes financiers, etc.
- Drapeaux noirs (facteurs lié au travail) : conflit avec l’employeur (Fig. 1).

Figure 1 (inspirée d'un article du BMJ)

De nombreuses études cliniques ont documenté que la présence de drapeaux jaunes, bleus et noirs augmente le risque de récidive et de chronicité.  Le questionnaire Orebro permet de mieux détecter les éventuels drapeaux lors de l’entretien initial avec le patient, il est validé en français [5].

Par conséquent, lors de son BDK et avant même de procéder à l’examen physique du patient ayant une lombalgie, les kinésithérapeutes ont la capacité :

1) D’identifier une éventuelle pathologie grave sous-jacente et de référer à un médecin le cas échéant.
2) D’identifier les facteurs psychosociaux prédisposant à la chronicité et à la récidive, leur permettant d’identifier les patients les plus à risque.

L’identification des patients à risque est particulièrement importante car ce sont ces patients qui peuvent souffrir de façon persistante et entraîner des coûts importants sur le long terme.

Comment identifier les patients à risque de développer une lombalgie persistante ?
L’un des outils les plus efficaces pour identifier ces patients est le questionnaire STarT Back.

Il s’agit d’un questionnaire composé de neuf questions qui permet de répartir les patients en trois catégories de risques : faible, moyen, élevé. Cet outil a été très étudié et il est désormais recommandé par la très influente American Physical Therapy Association (APTA) et le National Institute for Health and Care Excellence (NICE). Au Royaume-Uni, une large étude publiée en 2011 dans le prestigieux journal Lancet [7] a conclu l’efficacité de ce score. Les résultats de l’étude montrent que l’utilisation du questionnaire STarT Back donne de meilleurs résultats avec moins de séances, donc avec une réduction des coûts de manière significative. Il bénéficie d’une traduction en français [8] et il est particulièrement facile de le faire remplir aux patients en salle d’attente. 

Que rapportent les études sur l’efficacité des techniques et traitements kinésithérapiques ?
Il est davantage recommandé de catégoriser les patients en fonction de leurs signes et symptômes. En effet, il existe plusieurs types de lombalgies, qui correspondent à une stratégie d’intervention ciblée en kinésithérapie : exercices, approche psycho-comportementale…

Il s’agit pour le kinésithérapeute d’apporter le soin le plus ciblé et approprié à chaque patient.

Pour étayer cela, plusieurs études, notamment celles menées par J. Fritz et coll. [9], ont montré que l’accès tardif (supérieur à quatre semaines) à la kinésithérapie engendrait davantage de coûts (imageries, médication, séances de kinésithérapie supplémentaires, chirurgie) par rapport à un accès direct précoce à condition d’avoir un traitement en accord avec les recommandations de bonnes pratiques [10] qui, par ailleurs, donnent à nouveau un avantage à l’accès direct chez le kinésithérapeute [6].

Quel est le contenu des recommandations de bonnes pratiques [5] [6] ?
Les kinésithérapeutes peuvent avoir un impact extrêmement positif sur la lombalgie en :

- Expliquant au patient la nature de la lombalgie et en évitant les explications de type “anatomiques” (disque intervertébral, hernie discale, vertèbres..). Il semblerait que chez certains patients une explication très orientée sur l’anatomie et l’imagerie puisse avoir des effets délétères (“disque pourri”, “hernie discale énorme”, “vertèbre déplacée”…).

- Favorisant les approches actives et encourager le patient à reprendre ses activités habituelles, dont le travail. Les séances composées de mouvements sont supérieures au traitement passif.

- Proposant un programme d’exercices spécifiques ou non spécifiques en fonction des besoins et capacités des personnes. Certains patients semblent répondre à des exercices spécifiques et d’autres non.

- Utilisant les techniques passives (manipulations, thérapie manuelle, massages) en fonction des besoins et uniquement en combinaison avec des exercices. Les techniques passives ne doivent en aucun cas être utilisées seules dans le traitement.

- Proposant un suivi psychologique type rééducation cognitivo-comportementale dans les cas de risques modérés à haut dans le StarT Back ou si le traitement proposé initialement n’est pas suffisant.

Qu’est-ce qui est démontré comme étant inefficace dans le traitement de la lombalgie (recommandations anglaises) [6] ?

- Utilisation de ceinture lombaire ou corset ;
- Utilisation de semelles orthopédiques ;
- Tractions lombaires ;
- Acupuncture ;
- électrothérapie Tens et ultrasons ;
- Médication : les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) doivent être utilisés selon les recommandations générales, dans la posologie et la durée la plus courte possible que le permet l’état du patient.
- Les opioïdes ne sont utilisés à faibles doses que si les AINS sont contre-indiqués ou inefficaces chez le patient lombalgique aigu. Il n’est pas recommandé de les prescrire de manière régulière chez le patient lombalgique chronique.
- Le paracétamol ne doit pas être prescrit seul car inefficace.
- Les anti-dépresseurs et les inhibiteurs de sérotonine ne sont pas recommandés pour le traitement de la lombalgie.

Conclusion
La lombalgie reste un problème de santé publique majeur en France. La problématique principale n’est pas tant la prévalence de la lombalgie mais bien la récidive et la persistance des symptômes. Les kinésithérapeutes ont un rôle à jouer en identifiant les patients à risque de chronicité, et en adoptant des approches de traitement actives et psycho-comportementale qui ont été démontrées comme efficaces sur la douleur et sur la fonction, mais également sur la consommation de soins et les coûts engendrés par la lombalgie.

Pour aller plus loin

Bibliographie

[1] Rapport INRS, 2010, Santé et Sécurité au travail, Lombalgie.
[2] Pengel LHM, Herbert RD, Maher CG, Refshauge KM. Acute low back pain: systematic review of its prognosis. BMJ : British Medical Journal. 2003;327(7410):323.
[3] D. Rosenweg 2016, www.leparisien.fr/economie/le-cout-des-lombalgies-fait-froid-dans-le-dos-16-11-2016-6333411.php
[4] Henschke, Claudia I. et al. CT screening for lung cancer Clinical Imaging, Volume 28, Issue 5, 317-321.
[5] Hilfiker R, Knutti IA, Raval-Roland B et al. Validity and responsiveness of the French version of the Örebro Musculoskeletal Pain Screening Questionnaire in chronic low back pain. European Spine Journal, 2016, Volume 25, Issue 9, pp 2741-2749.
[6] Clinical Practice Guidelines Linked to the International Classification of Functioning, Disability, and Health from the Orthopaedic Section of the American Physical Therapy Association. J Orthop Sports Phys Ther. 2012 Apr; 42(4): A1-57.
[7] Low back pain and sciatica in over 16s: assessment and management. NICE Guidelines.  2016.
[8] Hill JC, Whitehurst DG, Lewis M, and al. Comparison of stratified primary care management for low back pain with current best practice (STarT Back): a randomised controlled trial. Lancet. 2011;378(9802):1560-71.
[9] Bruyère O, Demoulin M, Beaudart C, and al. Validity and Reliability of the French version of the STarT Back Screening Tool for patients with low back pain. Spine (Phila Pa 1976). 2013 Oct 9. Lien du SBST en français : http://www.keele.ac.uk/sbst/
[10] Fritz JM, Childs JD, Wainner RS, Flynn TW. Primary care referral of patients with low back pain to physical therapy: impact on future health care utilization and costs. Spine (Phila Pa 1976). 2012;37(25):2114-21.
[11] Julie M. Fritz, Jason M. Beneciuk, Steven Z. George. Relationship Between Categorization With the STarT Back Screening Tool and Prognosis for People Receiving Physical Therapy for Low Back Pain. Physical Therapy Volume 91 Number 5.
[12] Hill JC, Dunn KM, Lewis M, Mullis R, Main CJ, Foster NE, Hay EM. A primary care back pain screening tool: identifying patient subgroups for initial treatment. Arthritis Rheum. 2008;59(5):632-41.
[13] Dreyfuss, P., Michaelsen, M., Pauza, K., McLarty, J. and Bogduk, N. (1996) The value of medical history and physical examination in diagnosing Sacroiliac joint pain, Spine, 21(22), pp. 2594–2602. doi: 10.1097/00007632-199611150-00009.
[14] Ohnmeiss, D.D., Vanharanta, H. and Ekholm, J. (1997) Degree of disc disruption and lower extremity pain, Spine, 22(14), pp. 1600–1605. doi: 10.1097/00007632-199707150-00015.
[15] O’Neill, C.W., Kurgansky, M.E., Derby, R. and Ryan, D.P. (2002) ‘Disc stimulation and patterns of referred pain’, Spine, 27(24), pp. 2776–2781. doi: 10.1097/00007632-200212150-00007.
[16] Spitzer, Walter, Leblanc, Francis and Dupuis, Michel (1987) Scientific approach to the assessment and management of activity-related spinal disorders. A monograph for clinicians. Report of the Quebec Task Force on Spinal Disorders, Spine, 12(75), pp. S1–S59.
[17] de Vet, H.C.W., Heymans, M.W., Dunn, K.M., Pope, D.P., van der Beek, A.J., Macfarlane, G.J., Bouter, L.M. and Croft, P.R. (2002) Episodes of low back pain, Spine, 27(21), pp. 2409–2416. doi: 10.1097/00007632-200211010-00016.

Liens d’intérêts des auteurs :

- Jean-Philippe Deneuville : kinésithérapeute libéral, enseignant pour l’Insitut McKenzie France.
- Laurent Rousseau : kinésithérapeute libéral, enseignant en formation continue et initiale “Douleur et kinésithérapie”.
- Sophie Taillefer : kinésithérapeute libérale.
- Flavio Bonnet : kinésithérapeute libéral, co-fondateur de l’organisme de formation continue Agence EBP, enseignant pour La Clinique du Coureur.

© staras/Istockphoto
© D.R.

 

 

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