Courrier de lecteur :
Kinés amis ! Déculpabilisez-vous !
Cyrille Arnol
- 15 avril 2020
Je vois trop de consœurs et confrères qui se font des nœuds à la tête. Le traitement : ce billet d’humeur !
Cette crise sanitaire nous met face à nous-mêmes, tout comme elle met la société face à elle-même. Nos contradictions éclatent au grand jour.
Mon métier, kinésithérapeute, n’a pas été choisi par hasard. La volonté d’aider, de rendre service, de donner des solutions a toujours fait partie de la vision du métier que je défends. Probablement en-est-il de même pour vous.
Aujourd’hui, je suis le plus strictement possible confiné. Mon cabinet est fermé, et je ne réalise aucun soin, quel qu’il soit.
Dès les premières recommandations du CNOMK, j’ai suivi le mouvement général de fermeture, et je vous avoue que le plateau dans la crise que nous vivons, je m’en attribue une partie, infime certes.
Mes "soins" urgents, à domicile ou non, ne le sont pas. "Urgent" englobe une notion de sinistralité, d’hypothèse d’espérance de vie. Ne pas voir pendant 2 mois des malades de Parkinson, des personnes âgées dépendantes, à qui nous aurions réalisé des étirements, des renforcements musculaires et de la coordination, n’est pas une urgence.
Lorsque nous restons 2 mois dans un corset, ou avec une résine, un plâtre ou autre, les tissus se rétractent, ils demandent beaucoup d’attention pour reprendre leur fonction. Et ils y arrivent dans la majeure partie des cas.
Certes, ces patients auront besoin de nous à l’avenir. "Urgemment" dès le premier jour post-confinement des kinés.
Notre profession s’oppose, elle ne fait que ça d’ailleurs. Sur tous les sujets possibles, sur l’attitude à avoir lors du confinement. Les cas ci-dessus écartés, il reste les fractures déplâtrées, les post-opératoire, bref l’orthopédie.
Je me sens tout à fait prêt à donner mes conseils par téléconsultation, et l’expérience de certains confrères prouve que cela fonctionne bien. Encore faut-il avoir un cadre légal. À ce jour, nous n’avons pas le droit à un tel acte. Les décrets ne sont pas passés ce vendredi comme annoncé, je parie pour une parution au Journal officiel le 10 Mai. Quand bien même nous l’aurions, il sera strictement (trop à mon goût) réglementé, et il disparaîtra probablement avec la crise.
La tête pensante de la santé en France considère donc ces soins, que certains jugent "urgents", comme problématiques, et nos décideurs jouent la montre sur ces dossiers. Pourquoi, dès lors, devrions-nous nous mettre dans l’illégalité ? Parce qu’une crise sanitaire explose ? D’autres professions ont eu leur autorisation, il n’y a que pour notre profession que le blocage est évident.
La liberté, c’est la responsabilité ! Nos dirigeants ont la liberté d’autoriser de tels actes, ils ne le font pas. Libre à eux. Ils sont responsables si les actes ne sont pas réalisés. Avons-nous une liberté ? Oui, de s’affranchir de la loi ! Liberté modeste, liberté ultime. Nous ne sommes donc pas responsables.
J’entends déjà : "Tu dois avoir de l’empathie envers tes patients" ou "Imagine si c’était un de tes proche". Une contamination, UNE SEULE, et c’est l’ensemble de l’utilité de mon travail qui tombe à l’eau.
Il se trouve qu’un voisin vient de mourir du Covid-19. Je suis bien triste car je l’appréciais énormément. Je suis par ailleurs heureux de ne pas être allé lui faire sa kiné (je le voyais par période). A posteriori, j’aurais craint que sa femme, avec qui le courant ne passe pas, ne m’accuse d’avoir apporté le virus ! Qu’en serait-il dans une telle situation ? Bien que la contamination soit improuvable, une enquête aurait mis en avant que sais-je ? Que le gel hydroalcoolique de la voiture a mal supporté l’été dernier (et ses 42 degrés) et que, par conséquent, son efficacité était nulle ? À moins que ça ne soit mes chaussures ? Pas de surchaussures ? Bref.
Nous ne sommes pas équipés pour aller et venir comme si de rien n’était.
En m’impliquant, je pourrais être impliqué. Dans une société qui devient procédurière, nous le verrons avec tous les procès qui suivront la crise, ne serait-ce que pour le gouvernement. Ne devons-nous pas agir comme ce que nous sommes ? Des indépendants ? Des entrepreneurs de la santé ?
Nos structures sont fragiles, nos droits sont frêles, pas d’assurance perte d’exploitation dans un cas sanitaire comme aujourd’hui. L’État nous fait grâce de "REPORT" de charges, URSSAF, Retraite. Ne soyons dupe de rien : les milliards sur la table aujourd’hui seront remboursés. Si ce n’est par vous, ils le seront par vos enfants. En attendant, nos charges défilent, nos comptes filent sûrement vers le rouge.
Pourriez-vous supporter un procès en contamination ? Déjà financièrement mais surtout moralement ? Des nuits à cogiter sur ce que nous aurions dû faire ou non… Ce que nous sommes en train de faire, discuter, palabrer, avec la pression supplémentaire de la responsabilité d’un homme mort ?
Je peux me permettre, pour ma famille, pour ma situation, de passer une année difficile financièrement. Je peux supporter de passer pour un glandeur. Un je-m’en-foutiste. Mais je ne pourrais jamais accepter d’être un propagateur, et encore moins d’en être accusé.
Mon état mental ne saurait tolérer la double charge d’une reprise de travail à haute intensité avec la charge mentale d’être celui qui a disséminé.
C’est pourquoi, je suis fermé, cloisonné, confiné. En accord avec ma pensée profonde, avec les moyens qui me sont donnés, et surtout les non-dits de nos dirigeants. Nous n’empêcherons jamais les gens de parler, les confrères de juger, les énarques de légiférer. Certaines idées fondent comme neige au soleil, je prends le pari que celle que "nous aurions dû" fera de même.
En attendant, je respire, je donne à la société ce dont elle a le plus besoin : arrêter la propagation.
Je me prépare sereinement à la vague de demandes qui va nous engloutir dès que tout cela va repartir. Là alors, j’aurais mon utilité, aussi mon effort, physique, mental, se concentrera sur cette période. J’aurais des comptes à rendre sur ma position. Qui n’en aura pas ?
Tristement, la belle solidarité actuelle laissera la place aux jugements individuels. Et le monde pourra repartir dans ses travers habituels.
Je resterai droit dans mes idées, à tenter de me protéger tout comme je protège les autres. Mon sommeil me remerciera !
Je vous salue, Amis !
Cyrille Arnol (38)