C'est un rosé ? Pas vraiment. Un rouge ? Non plus. Le Rosé des Riceys, vin méconnu de l'appellation Champagne, est un fantastique nectar. Dans l'Aube, 25 vignerons élaborent ce vin d'exception qui fêtera les 70 ans de son appellation le 9 juin prochain.

Pour qui croit connaître les rosés et leur désolante irrégularité, le vin élaboré aux Riceys est une surprise extraordinaire. D’autant plus qu’à la dégustation, ce “rosé” qui n’en a que le nom se révèle ni rouge ni rosé ! Une personnalité unique qu’il doit à son terroir, aux méthodes de culture et de vinification inédites portées par une vingtaine de viticulteurs passionnés.

On le produit lors des meilleures années
Les trois communes qui constituent les Riceys (Ricey-Haut, Ricey Haut-Rive, Ricey-Bas) se situent dans le département de l’Aube, le département le plus discret de l’appellation Champagne. Ces trois anciens villages, aujourd’hui réunis en un seul, constituent le seul endroit en France où le vin peut être produit sous trois appellations : Champagne, Coteaux Champenois et Rosé des Riceys (pour les vins tranquilles). Cette petite commune de 1 400 âmes est labellisée “Site remarquable du goût” depuis mars 2017, une reconnaissance qui salue à la fois un terroir gastronomique, des traditions et un environnement exceptionnel sur lequel règne un unique cépage : le pinot noir.

Créée en 1947, l’appellation Rosé des Riceys occupe 30 petits hectares cultivés par 25 producteurs qui, à eux tous, ne produisent pas plus de 60 000 bouteilles à chaque récolte, et uniquement les meilleures années. C’est donc une production très confidentielle.

Autrefois, la région était renommée pour ses vins rouges. On ne sait pas exactement comment le rosé est né. Erreur de vinification ? On a en tout cas découvert un jour que le vin gagnait en subtilité si on décuvait plus tôt. Juste après la guerre, en 1947, il est doté d’une appellation d’origine contrôlée (AOC) et doit répondre à un cahier des charges très précis.

On n’élabore pas du Rosé des Riceys n’importe où, ni n’importe comment. En tant qu’appellation, ce vin correspond à une zone géographique bien délimitée : les Riceys, et nulle part ailleurs.

Pascal Morel dans sa cave.	Seules 60 000 bouteilles sont produites à chaque récolte, et uniquement les meilleures années.

Une production de passion
Pascal Morel fait partie des 25 producteurs de champagne de la région à élaborer le Rosé des Riceys. Président de l’organisme de défense et de gestion (ODG) qui gère l’AOC Rosé des Riceys, l’homme est un passionné qui n’aime rien tant que de faire découvrir sa région. Lorsqu’on s’étonne sur l’aspect en patchwork du vignoble, où les micro-parcelles de vignes se succèdent dans des vallons, il explique que “chacune est logée dans une cuvette bien délimitée dans son propre vallon et possède ses particularités et son microclimat. Ce qui explique qu’ici les vins ont des identités contrastées”. Le vignoble est également très escarpé avec des parcelles parfaitement exposées au soleil. Certaines sont inclinées à 57° !

Les grappes de raisin destinées au Rosé des Riceys sont prélevées sur des vignes matures ayant entre 30 et 50 ans d’âge. Elles sont encuvées entières et mises en cuvaison, entre trois et six jours, selon l’appréciation au millimètre du vigneron. Le vinificateur déguste quotidiennement le moût en fermentation pour ne pas rater l’instant fatidique où apparaît le fameux bouquet de ce vin. La vinification est un art complexe et sensible : il suffit d’une heure de trop pour laisser échapper tout ce qui fait la subtilité de cette spécialité rare.

Grappes de pinot noir.

La “puissance légère” d’un vin sans tanins
Quand le goût obtenu est satisfaisant, le moût est pressé en douceur, le vin devant avoir la force d’un rouge sans pour autant en posséder le côté tanique. Pour obtenir ce travail de haute couture, il n’est pas rare que le viticulteur dorme aux pieds de sa cuve, guettant le bon moment avec anxiété. Chez les Morel, on s’attache à presser le raisin en une heure, avec un maximum de légèreté pour ne pas extraire trop de tanins. Le secret du Rosé des Riceys réside en effet dans cette “puissance légère” d’un vin sans tanins.

Comme tout vin exceptionnel, le Rosé des Riceys supporte le temps avec panache, ce qui explique que certains producteurs ne le commercialisent que plusieurs années après la récolte. C’est en vieillissant qu’il révèle sa puissance tout en conservant une fraîcheur étonnante pour un vin de garde. Dix ans de cave ne font pas peur à ce joyau champenois.

© Domaine Morel
© Didier Guy